SOUAD OU L’ÂME DELIVREE

Par Rihab Oueghlani
Article écrit dans le cadre de l’atelier de critique de « Premiers gestes » (Tunis, du 17 au 21 mars 2017)
sortir vers le jour
Sortir au jour est un film égyptien de Hala lotfy qui suit une journée entière du quotidien de Souad et de sa mère. Ces deux dernières ont le même et presque le seul souci, celui de prendre soin du père paralysé dans un appartement clos, dans une sorte de « tombe familiale ». Ce qui nous a le plus interpellée, dans ce film ou plutôt dans la vie de Souad résumée en 24h, c’est l’existence de deux phases: d’abord emprisonnée dans l’atmosphère écœurante de « mort » qui règne dans la maison où rares sont les sources de lumière (il n’y a que des flashs qui viennent transgresser les fenêtres mi-closes), elle est ensuite libérée de chez elle, de ce huis clos pour « sortir au jour » en pleine lumière autrement dit pour renaître.
Ce film nous fait penser au Livre des morts des anciens Égyptiens qui a pour sous titre « sortir au jour ». Ce livre montre la dissociation des différents éléments constitutifs de la personne humaine où chaque aspect semble mener sa propre existence. Le trio : père, mère et fille constitue une seule personne, une entité: le Corps (le père) est le support de cette existence, le Cœur (la mère) évolue dans la tombe avec le corps et enfin l’Ame(Souad) sort au jour hors de la tombe. La survie du père dépend alors de la présence de l’ensemble mère fille et ce n’est que l’absence de l’une d’entre elles qui engendrera sa déchéance. D’ailleurs, Souad a du mal à sortir de la « maison tombe », à quitter son père, à se séparer du Corps.
La sortie de la jeune fille de la maison est le grand événement de ce film. Et ce n’est pas anodin qu’elle ait Place Tahrir comme première destination. Cette sortie acquiert alors une dimension native dans la mesure où elle permet à ce personnage de renaître mais aussi elle procure de la lumière à ce film quasi obscur. Cette faible lumière est tout à fait compatible avec l’atmosphère macabre, avec la souffrance habituelle que ressentent les deux femmes. Ce film donne entre autres à la lumière une nouvelle fonction différente de celle de l’éclairage. La caméra se fixe sur les détails des visages de la mère et de la fille qui se confondent à un certain moment. Elle les filme lentement, doucement comme pour ne pas les effaroucher et pour qu’elles aient confiance en elle.
C’est une manière d’apaiser et de soulager leur grande peine. La caméra remplace, dans ce cas, les discussions manquées entre les personnages. Face à cet immense malaise, il serait inutile de parler. C’est ce qui justifie l’absence de véritables conversations entre la mère et sa fille. Nous n’avons affaire qu’à des dialogues élémentaires fonctionnels.
Enfin, la chanson d’Oum kalthoum qui allège et aère cette ambiance suffocante, semble en vérité célébrer la « sortie au jour » de Souad. Cette fête de libération atteint son paroxysme avec le chant des soufis.
Ce qui fait l’originalité de ce film c’est qu’il ouvre la voie à un nouveau type de films égyptiens, à une nouvelle génération de réalisateurs.

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