La démocratie locale entre les exigences de la constitution et les changements sociaux
Dans quelques semaines, les Tunisiens éliront démocratiquement, pour la première fois de leur histoire, leurs conseils municipaux. Un rendez-vous que les électeurs et les politiques considèrent déterminant pour ancrer les bases du gouvernement local et l’avancement du processus de la transition démocratique en général, et ce, après l’adoption de la Constitution et l’alternance pacifique au pouvoir à deux reprises, suite à des élections libres et transparentes dont les résultats ont été reconnus par tous les protagonistes.
Autant, la plupart des opinions s’accordent sur l’impérieuse nécessité aujourd’hui d’avoir des institutions de gouvernement local élues au service des habitants et qui participent au développement des régions et redéfinissent la donne politique sur l’organisation du pouvoir dans le pays, autant la polémique (le débat) continue quant à la nature de cette restructuration et au sens de la décentralisation, ses défis, ses paris et son acceptation par le tissu social comme une nouvelle forme de l’organisation du pouvoir de l’Etat sur son territoire.
Le premier défi est d’ordre juridique et concerne la loi organisant le pouvoir local et les collectivités locales en conformité avec la Constitution, particulièrement dans son chapitre 7 et l’article se rapportant à la discrimination positive et la nécessité de mettre en place l’ensemble des mécanismes à même de développer les régions marginalisées de l’intérieur du pays.
L’autre aspect attendu du texte juridique organisant le pouvoir local concerne les ressources financières et l’ensemble des prérogatives des conseils élus et leur rapport au pouvoir central, ainsi que la disponibilité des ressources administratives, logistiques et humaines pour contribuer au développement du territoire et l’amélioration des conditions de vie des habitants.
Le deuxième défi revient au corps social lui-même. La demande de démocratie locale, de gouvernance participative et de gestion autonome des affaires locales n’est plus l’apanage de la société civile et des élites, elle a accompagné aussi plusieurs mouvements revendicatifs et sociaux dans les régions et est devenue, ces dernières années, partie intégrante des demandes démocratiques et de développement. Cela nous conduit à poser la question sur les contextes du passage de la revendication à l’action et au changement à travers les institutions locales sans porter atteinte à l’unité territoriale et à la souveraineté de l’Etat, c’est-à-dire sa permanence en tant qu’entité politique, juridique et symbolique organisant la vie politique selon le principe de l’engagement des individus et des instances de respecter sa loi civile unificatrice. Autrement dit, comment dissiper la confusion qui a parfois entaché le concept de donnée locale et clarifier ce qui le distingue de celui d’autonomie et du modèle de département et autres concepts n’appartenant pas au champ de l’équilibre entre le national et le local, le centralisé et le décentralisé.
Nous résumons en trois questions les sources d’inquiétudes accompagnant cette attente citoyenne du rendez-vous électoral :
- Les nouvelles lois et règlementations vont-elles garantir assez de décentralisation, à même de limiter le pouvoir hégémonique de l’Etat central pour permettre aux habitants des régions et des villes de prendre en charge par eux-mêmes leurs affaires et s’autogérer?
- La décentralisation parviendra-t-elle à réduire les écarts entre les régions, ou, au contraire, ne fera-t-elle que les approfondir, laissant l’Etat impuissant devant la situation de marginalité des régions de l’intérieur et démissionnaire de son rôle ?
- Le corps social, dans sa diversité et aux différents niveaux des liens qui l’organisent, localement, communautairement ou régionalement, réagira-t-il de manière homogène et cohérente avec les institutions du gouvernement local comme partie des institutions unies de l’Etat ?