A GAUCHE : LA FAILLITE D’UNE GÉNÉRATION ?
Morne plaine à gauche. Ce qui s’est passé au cours des dernières élections ce n’est pas une simple défaite électorale, c’est le discrédit définitif de la « gauche politique » en Tunisie. Ce n’est pas un pléonasme car, à nos yeux, la surface sociale de la gauche dépasse le microcosme partidaire, parlementaire et électoral. Ce qu’il est convenu d’appeler la gauche tunisienne recouvre aussi autre chose : une disposition d’esprit, des formes de sociabilités perceptibles dans espaces sociaux, culturels et civils divers… Il ne sera pas question de cette culture-là dans cette rencontre.
Nous sommes conscients que le mot réfère à une identité politique aux contours floues et labiles. Pourtant nous faisons le pari que l’insoutenable orgueil de se réclamer de la gauche survivra à la déroute électorale. Un autre cycle commence où il faudra revisiter les mots, renouveler les figures et élargir les lieux de l’appartenance…
Dans cette optique, nous voulons débattre du devenir d’une génération d’acteurs qui ont un moment marqué à des degrés divers la vie politique du pays, avant et après la Révolution. Même si la notion de génération, elle aussi, est assez délicate à manier. Car, ce qui est en cause, ce n’est pas seulement un groupe d’activistes politiques vieillissant sanctionné par un vote sans pitié.
C’est un moment historique qui s’abîme sous nos yeux en achoppant sur le butoir d’une réalité sociale ignorée, sous-analysée…
Ce sont des pratiques et des formes d’organisation politiques calamiteuses, où le leadership se mue en handicap et où la querelle tient lieu de débat, qui sont balayées…
C’est la génération politique qui a fait ses armes dans le mouvement étudiant des dernières décennies du 20ème siècles, dans l’opposition syndicale et politique, apôtres d’un radicalisme bavard et d’un marxisme honteux, qui se retrouve face à sa propre faillite… Tout se passe comme si l’épreuve de la légalité lui avait été fatale.
Au lendemain du 14 janvier, un état des lieux hâtif donnait à voir une gauche bicéphale : la gauche-société et la gauche-libertés, deux traditions qui interfèrent parfois, divergent souvent. Le délitement de la deuxième famille, héritière du patrimoine post-communiste, était visible tout au long des dernières années : son enlisement dans l’improbable marais « moderniste » et/ou centriste était symptomatique d’une perte d’identité évidente.
Par une sorte de glissement de terrain, le post-gauchisme va occuper l’espace délaissé et apparaître comme l’expression politique quasi unique de la gauche radicale. La constitution, après 2014, d’un groupe parlementaire se réclamant de cette appartenance a renforcé cette impression. Porté par la mémoire de la résistance à la dictature puis par le martyrologe après les assassinats de Chokri et Brahmi, ce groupe fera illusion un moment.
Mais, « l’entrée en politique » attendue a tournée court et le Front Populaire, pour ne pas le nommer, a passé sa mandature à faire du surplace et au mieux une figuration bruyante. Ce que l’on attendait comme un envol était le signal d’un déclin accéléré.
L’ampleur de la déroute a surpris tout le monde, mais la défaite était programmée. La désinvolture avec laquelle les leaders auto-proclamés de notre gauche ont entraîné leurs troupes dans cette mésaventure est sans doute le premier problème qu’il faut dévisager.
Au-delà, les élections de 2019 ont sonné l’heure de vérité et consacré l’incapacité de tout une génération à représenter la gauche.
Pourquoi cette incapacité à percevoir et à accompagner les nouveaux mouvements sociaux… ?
Pourquoi l’incapacité à saisir le sens profond des nouvelles expressions culturelles et politiques de la jeunesse, le destin de l’UGET étant à cet égard une leçon de choses… ?
Pourquoi l’incapacité à impulser un renouvellement des idées ? Pourquoi la survivance de certains dogmes staliniens qui en dit long sur une effarante indigence intellectuelle…
CETTE RENCONTRE EST LE DÉBUT D’UNE SÉRIE DE RENCONTRES OÙ TOUTES LES SENSIBILITÉS DE LA GAUCHE ET AU-DELÀ, À QUELQUE GÉNÉRATION QU’ELLES APPARTIENNENT, SERONT INVITÉES.
Pour un premier état des lieux et afin d’entamer cette bataille des idées que nous appelons de nos vœux, nous avons invité trois figures dissidentes, appartenant à une autre génération.
Tous les trois ont tenté de penser autrement la gauche, se sont engagé dans d’autres expériences et pris assez tôt la mesure de l’impasse mortifère dans laquelle l’ancienne gauche radicale s’était engagée : Samar Tlili, Mohamed Slim Ben Youssef et Malek Sghiri.
Le débat sera animé par Fathi Ben Haj Yahia.