Atelier d’analyse filmique et de critique « Premiers gestes » (Tunis). La mémoire de la guerre dans Trêve de Myriam El Hajj par Nesrine Ben Hafsi
Trêve est le premier long-métrage de la jeune réalisatrice libanaise Myriam El Hajj. La cinéaste s’implique directement dans son film par sa propre présence et celle des membres sa famille pour aborder un sujet très sensible : les causes et les conséquences de la guerre civile au Liban qui s’est déroulée de 1975 à 1990. Des échos de ce conflit nous parviennent à travers les échanges entre la réalisatrice et ces témoins ayant participé à cette guerre.
Dès le premier plan, on se sent emprisonnés dans un silence épineux. Des armes à l’arrière plan, une usine en marche pour une fabrication continue de balles pour carabines, la palette des couleurs qui renvoient à l’habit militaire…, tout évoque la violence. Le titre lui aussi place la problématique de la violence au premier plan ; ce ne serait qu’une trêve, la guerre ne serait pas finie.
Bien qu’il n’en reste que des cendres, le souvenir de cette guerre ne semble pas être un simple fragment du passé. Dans le cœur de l’oncle Ryad et ses amis, vit encore la flamme des champs de bataille, comme en témoignent leurs paroles : « Si demain l’occasion se présente, tous reprendront les armes. ». Cet amour pour la guerre s’exprime également dans les parties de chasse. Celles-ci paraissent motivées par un besoin que ces hommes assouvissent dans ces parties de chasse fréquentes, se vantant du nombre de pigeons chassés comme ils faisaient le compte de personnes assassinées auparavant. À un certain moment, on voit l’oncle s’adresser à la chienne Myra en lui tendant un pigeon mort : » Sens l’odeur de la mort ! » avec un large sourire qui donne froid dans le dos. Le même oncle Ryad, un peu plus tard, affirme qu’un homme aux mains tachées de sang ne peut prétendre au repentir et qu’on ne peut oublier le visage d’un homme qu’on a tué de près. Pourtant, il ne semble pas avoir de remords. Face à une déclaration pareille, je ne peux m’empêcher de les imaginer à l’œuvre, mais l’image que j’ai devant moi détruit toute supposition que je me fais à leur sujet : j’ai devant moi des corps gagnés par la vieillesse et dont la vivacité s’est échappée, des corps qui se tiennent rarement debout, affaissés dans un cadre serré, se déplaçant d’une chaise à une autre, l’esprit ailleurs, peut-être cherchant des instants de gloire dans un passé lointain.
Dans la dernière partie du film, les échanges se font de plus en plus rudes entre Myriam El Hajj, son oncle et son père, comme s’ils formaient deux camps adverses. Un conflit de générations se fait jour, sur le plan idéologique mais aussi concernant les motivations de cette guerre. La tension monte dès qu’on approfondit le sujet et, lorsque le point le plus important est soulevé, l’on se retrouve soudainement face à un écran noir. Cet écran noir en dit long ; c’est la part d’ambiguïté qui existe au fond de chacun de ces hommes, cette part de mystère qui persiste jusqu’à ce jour concernant cette guerre et sur lequel la cinéaste a tenté de lever un voile.