De quoi Kaïs Saied est-il le nom ?
Maintenant que le « péril » Nabil Karoui est dissipé, on peut de nouveau (se) parler à tête reposée. Car il y avait péril en la demeure. Heureusement, l’hypothèse calamiteuse de l’accession d’une figure emblématique de l’argent sale à la tête de l’Etat est écartée.
Quelques constats d’évidence :
L’effet Kaïs Saied est en train de bouleverser la donne politique dans le pays.
• Il y a d’abord un véritable coup de jeune dans l’espace public dont la manifestation la plus éclatante est le regain d’intérêt pour la politique chez des centaines de milliers de jeunes gens qui constituent de gros contingents de l’électorat du nouveau président : que cette adhésion soit transitoire ou pérenne (la suite de l’histoire le dira) il faudra désormais compter avec ces nouveaux acteurs revenus ou entré en politique en ce fatidique mois d’octobre 2019.
• On peut légitimement espérer que le Palais de Carthage ne sera plus l’arrière cour où se nouent les liaisons dangereuses entre l’argent, la politique et les médias. Un « honnête homme », dans tous les sens du terme, est désormais à la présidence. Ce n’est pas rien.
• La reconfiguration de la scène partisane mettra sans doute du temps. Mais elle est déjà à l’ordre du jour et on peut parier que l’un de ses enjeux sera la défection des relations douteuses entre les partis et les milieux d’affaires.
• Les suffrages massifs pour KS expriment également un ras-le bol de la corruption au sein de l’Etat. Un nouveau départ de la lutte contre ce fléau politique et social s’annonce donc loin des effets d’annonce du gouvernement finissant dont la campagne intermittente contre l’argent sale et ses symboles cachait mal les luttes de clans…
Pour autant, faut-il pavoiser et célébrer une ère nouvelle sous les auspices d’un sauveur suprême ?
• La posture oraculaire du personnage, jubilatoire pour les uns et irritante pour les autres, est sans doute anecdotique, mais on est en droit de s’interroger sur « le discours-Kaïs Saied ». On se gardera d’écarter d’un revers de main une variante locale d’on ne sait quel populisme qui déferle sur la planète ; il n’empêche, le recours monomaniaque à « la volonté du peuple » comme l’alpha et l’oméga de la politique est à maints égards problématique.
• De même pour la proposition institutionnelle centrale (la fameuse inversion de la pyramide : du local vers le central). Certains y ont décelé le sésame d’un renouvellement radical de la vie publique ; d’autres plus sceptiques observent que l’attelage imaginé se réfère peut-être à Proudhon ou à Rousseau mais emprunte ses outils plus prosaïquement aux modes de scrutin de la Vème république gaulliste. Sans compter les redondances avec les institutions existantes (les collectivités locales) et les problèmes de faisabilité politique…
• Les « professions de foi » conservatrices ostensiblement assumées par le nouveau président sont diversement appréciées. Alors que certains de ses partisans célèbrent un réajustement identitaire bienvenu, d’autres, y compris à gauche, y consentent en invoquant le primat de la question sociale sur les questions dites de société. D’autres encore refusent ce troc qui augure d’une régression du débat public…
De quoi Kaïs Saied est-il donc le nom ? La question est moins facile qu’on ne pourrait le croire.
Plus que jamais, nous faisons notre la devise du philosophe : « ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre ».
Pour commencer à y voir plus clair nous avons invité trois de nos amis dont les choix et les raisons interférents et divergents seront questionnées et soumis au débat :
Shams Radhouani Abdi, jeune universitaire et militante féministe, qui tout en souhaitant la défaite de Karoui n’a pas voté Saied.
Khalil Abbas, jeune militant de gauche qui s’est engagé en faveur de KS.
Enfin Baccar Gherib, économiste, ancien du Massar qui a opté pour le camp de KS.