élections 2019 – quels changements ? pour quel Etat ? Pour quelle société ?
Le grand chambardement
Les élections présidentielles et législatives de 2019 vont se dérouler dans un contexte lourd de tous les dangers et peut être aussi d’une promesse de renouvellement d’une classe politique usée jusqu’à la moelle.
Quelques constats d’évidence :
Le délitement des alliances
L’attelage improbable qui soutenait à bout de bras le gouvernement se défait sous nos yeux. Outre l’échec à maîtriser les difficultés économiques et à répondre aux impatiences sociales, on assiste, en cette veille d’élections, à un véritable « sauve-qui-peut » et à la ruée de tous vers des titres devenus hors d’atteinte pour les uns et subitement convoités pour les autres.
Alors que la famille libérale n’en finit pas d’étaler ses différends, la formation islamiste est elle-même fortement ébranlée. L’option pour une candidature interne est l’ultime parade pour surseoir à la discorde qui se profile à l’horizon. L’islam politique, qui a réussi jusque là à apparaître comme la force tranquille d’une arène politique constamment agitée, entre à son tour en crise. Si l’épisode de la Colibe avait déjà mis à nu les limites de l’aggiornamento politique, la montée des néo-populismes convoitant les franges volatiles de l’électorat nahdhaoui, semble affoler la direction actuelle incapable désormais de contenir les expressions dissidentes.
Une gauche en fin de parcours ?
La vocation durablement minoritaire de la gauche dans notre pays tient à des raisons anthropologiques évidentes. Mais comme pour toutes les gauches du monde, on pouvait s’attendre à ce que la nôtre « prospère » en situation de crise politique des droites gouvernantes. Il n’en fut rien. Incapable de développer une offre intellectuelle et politique alternative, elle a été happée par l’engrenage mortifère de la division et de la compétition des égos…
La participation des dirigeants concurrents de la gauche à la bataille électorale sera probablement la chronique d’une déconfiture annoncée. Gageons qu’elle sera aussi le prélude d’un renouvellement de la chefferie et des idées en attendant le redéploiement social d’une gauche populaire dont le pays a grandement besoin.
Le syndrome Karoui
Le phénomène Karoui est la sanction de cet enchaînement solidaire des faillites et des turpitudes. De la faillite des gouvernants et de l’incurie des opposants.
Karoui est le monstre du système qui se pose en alternative au système. Le pur produit du capitalisme de la fraude et des pots-de-vin qui se pose en porte-parole des plus pauvres.
La fulgurante ascension de Nabil Karoui dans les sondages et dans le baromètre du café du commerce, démontre la redoutable efficacité des médias audiovisuels dans la reproduction élargie du populisme. Preuve s’il en est que la « question médiatique » est l’impensé majeur de la post-révolution tunisienne.
Et la société civile dans tout ça ?
Force est de constater que si la dynamique de notre société civile n’est pas épuisée, mais sa combativité, éclatante au temps de la Troïka, s’est quelque peu émoussée. L’institutionnalisation, voire la semi-professionnalisation d’une partie du mouvement associatif et la marginalisation de la nébuleuse d’associations de jeunes y sont pour quelque chose. Mais c’est sans doute le syndicalisme national tiraillé entre l’implication dans les arrière-cours politiciennes au nom du statut spécifique de la « plus grande force sociale du pays » et un corporatisme à tout crin qui sert parfois d’alibi au conservatisme social.
Pendant ce temps, les nouveaux mouvements sociaux, ignorés par les partis préposés à la lutte des classes et peu relayés par les réseaux associatifs entretiennent une mobilisation diffuse comme la cendre qui couve. En leur tournant le dos, les forces régressives qui tiennent l’Etat savent-elles qu’elles jouent avec le feu.
Le tassement de l’élan révolutionnaire était prévisible. Ce qui est autrement inquiétant est la déconnexion entre le mouvement social et la société politique. Et en particulier la désarticulation entre les expressions sociales et culturelles dissidentes, celles des plus jeunes notamment et une gauche civile et politique confinée dans une vision archaïque et décalée de la société et du changement social.
En 2019, nous en sommes encore là, même si le contexte et la configuration des acteurs ont subi de profonds changements. Nous vivons une séquence fortement régressive et les forces démocratiques sont appelées à tout mettre en œuvre pour la dépasser.
Les élections de 2019 sont à tous égards fatidiques. Seront-elles le tremplin vers le pire ou un tournant salutaire pour nos institutions et notre vie commune ?
Car l’enjeu de ces échéances, s’il est toujours le même depuis 2011 : soit l’impératif de la double défense de l’Etat et de la société, il se pose cette fois-ci avec une acuité sans précédent. Le contexte de délitement de la vieille société politique bouleverse les priorités et brouille l’ordre des questions.
Il nous importe avant tout face à la menace populiste et à la reconduction probable des forces conservatrices d’œuvrer à l’émergence d’un pôle de résistance sociale et politique, au parlement comme dans tout l’espace public. Il s’agit pour toutes les composantes du camp démocratique de disputer pied à pied la moindre parcelle de l’Etat aux démagogues et aux prédateurs.
Pour débattre de ce contexte et de ces enjeux, Nachaz se propose d’organiser une rencontre entre :
Omézine Ben Chikha-Meskini, universitaire et observatrice de la scène politique
Zied Krichène, journaliste dont le professionnalisme est reconnu
Walid Besbes, jeune militant et chroniqueur politique :
Le débat sera animé comme d’habitude par Fathi Ben Haj Yahia.