La catégorie du baldî entre histoire, droit et société – Sami Bargaoui

Dans la toute jeune université tunisienne, Mohamed Hédi Chérif a certainement été l’un des pionniers de l’histoire sociale. La première génération d’historiens maghrébins entendait se démarquer de la manière dont leur histoire a été écrite sous le Protectorat.

Elle refusait notamment d’accepter l’histoire du Maghreb et ses «siècles obscurs», comme une suite chaotique de renversements politiques, qui devaient le mener fatalement à tomber entre les mains de la France. Une partie de ces historiens supposaient, bien au contraire, qu’il y avait un sens à retrouver dans des événements  apparemment insensés, mais qu’il n’était possible de le comprendre qu’en liant l’histoire politique, les structures et les pratiques du pouvoir à la structure sociale et à son évolution. Ce programme reste à mon sens amplement valable et sa validité même est à l’origine de la profonde empreinte des premiers historiens sociaux sur les orientations de la recherche historique dans les actuelles universités du Maghreb.

Pourtant, si nous connaissons en effet aujourd’hui, quarante ans après les premières recherches dans l’université tunisienne, infiniment mieux le déroulement des événements et les structures du pouvoir, nous en savons certainement moins sur la société elle même. Ou plutôt, nous avons privilégié une vision, certainement déterminée par notre usage des archives administratives, fiscales et militaires, qui axe un peu trop sur les rapports entre pouvoir et société. De là un point de vue qui, paradoxalement, privilégie les rapports d’exploitation et de violence entre un État prédateur et une société partagée entre la soumission et la révolte. Nous réactualisons, d’une certaine manière,  l’approche même contestée au début des indépendances. C’est là une vision des choses qui est certainement liée à notre rapport à notre propre État, et une manière pour nous de prendre un peu de distance avec une situation qui gêne quelque part notre statut d’intellectuels, mais qui abolit malheureusement la distance entre nous et notre objet. Ce n’est que très récemment que la société commence à être étudiée un peu plus en elle-même, condition à mon sens nécessaire à une meilleure compréhension de ses rapports aux institutions qui l’organisent et qu’elle contribue à produire. Non que les chercheurs aujourd’hui soient plus intelligents que leurs devanciers, mais l’épuisement des problématiques, l’intérêt pour des fonds d’archives jusque là peu étudiées (il y avait déjà fort à faire avec les archives administratives), les mutations dans les sciences sociales, et peut-être un certain désenchantement nous aident aujourd’hui à poser un peu différemment la même question : faire attention à la relation entre État et société, mais en étudiant plus attentivement la société dans sa pluralité, les rapports entre les différents groupes qui la composent, les manières dont ils imaginent l’organisation sociale et politique, et surtout en prenant plus de distance avec les sociétés que nous étudions.
Je voudrais, pour illustrer mon propos, revenir sur un point particulier, celui desbaldî-s. Parmi les qualités de Si Hamadi que ses disciples ont toujours appréciées, se trouvent aussi ses qualités humaines : l’urbanité, la finesse, la douceur de caractère, le respect de l’autre, l’élégance de l’être et du paraître… Il n’était certainement pas le seul tunisois à l’université, mais c’était lui qui incarnait pour nous l’archétype même du baldî dans ses côtés les plus agréables et finalement les plus profitables aux rapports entre un maître et ses jeunes disciples. Le mot et les sens que ce terme pouvait recouvrir ne faisaient pas partie uniquement de l’imaginaire des étudiants d’histoire, mais aussi des conversations quotidiennes des Tunisiens. Dans beaucoup de domaines de la production culturelle, par exemple le théâtre et le cinéma, ils n’étaient pas moins présents. A l’époque, une adaptation du Bourgeois gentilhomme de Molière – qui connut un immense succès et passe régulièrement encore à la télévision avec le même résultat – opposait les deux figures du parvenu d’origine bédouine à sa femme baldî, plus fine, plus intelligente et plus ouverte. Les pièces de Lamine Nahdi aujourd’hui, si elles les tournent toutes les deux en dérision, continuent d’exploiter la même veine, toujours avec le même succès. Quant aux feuilletons ramadanesques et au cinéma tunisien, la vague de retour nostalgique au patrimoine qu’ils connaissent est hantée ces dernières années par la figure de l’aristocrate décadent habitant un palais en ruines de la médina ou, au contraire, par celle, très positive, de la famille toujours fidèle à sa vieille maison de Bab Souika, toujours porteuse d’une culture et de valeurs qui sont l’apogée du raffinement de la culture citadine tunisienne. A l’université enfin, l’histoire sociale tunisienne – fortement centrée sur l’époque moderne – semble avoir fait sienne cette hantise de l’opposition entre baldîyya etbadw. Un soupçon de forte identification entre chercheurs et acteurs plane sur la place, qui fait que les chercheurs issus de régions provinciales ont tendance à préférer des terrains provinciaux et vice versa et les sympathies des uns et des autres sont à peine masquées. Certes, on peut évoquer des problèmes de sources et de commodité, mais ce partage peut aussi bien être imputé à une forte imprégnation par la culture de notre présent et une faible distanciation par rapport à notre objet d’étude. Le travers nous a peut-être empêché de voir des éléments d’information qui auraient permis de poser les questions autrement.
La conception de M. H. Chérif de l’évolution globale de la société et du pouvoir à l’époque moderne, qui est la plus évidente dans sa thèse ou dans quelques articles([1]), fait de la catégorie baldî, un élément crucial de sa compréhension. Le système de pouvoir que l’on retrouve dans la régence à la veille du protectorat français est foncièrement différent du régime militaire et administratif qui s’est établi en 1574. De simple province ottomane, la régence est parvenue à construire un régime largement autonome d’Istanbul. Cette autonomie est devenue possible grâce aux mutations de la société tunisienne et en particulier à la «déturquisation» (et même baldisation, écrit M. H. Chérif) progressive des Turcs et leurs descendants et leur intégration dans la société locale, les amenant en quelque sorte à imaginer un projet politique autochtone. Tunis, aussi bien socialement qu’économiquement et culturellement joua un rôle essentiel dans cette mutation. La supériorité culturelle (dans le sens de culture matérielle et intellectuelle) des Tunisois s’imposa à des Turcs déracinés. Le pouvoir qui progressivement se mit en place, était fondé sur une alliance entre institution beylicale d’une part et catégories  diverses, soit d’origine locale (menées par leurs notables citadins ou tribaux) soit des allogènes «créolisés» et métissées. C’est d’ailleurs chez M. H. Chérif que nous retrouvons la première définition du baldî et la première discussion des frontières de la catégorie. Un retour sur ce point est donc en rapport étroit avec cette construction qui constitue le cadre dominant des études sur l’époque moderne([2]).

Une catégorie floue

Ayant repéré l’usage du terme dans le registre n° 1 de 1676, M. H. Chérif essaye ensuite de le définir. Pour lui, il s’agit de l’équivalent moderne du terme de hadhardu moyen âge. Catégorie intermédiaire entre les dirigeants, en grande partie allogènes, et les ruraux, il seraient ainsi les habitants des vieilles cités comme Tunis, Kairouan, Sousse ou Sfax. Ce sont ceux qui pourraient être considérés comme les baldî-s par excellence. Pour les villageois, cette définition serait inacceptable, puisqu’elle les exclurait. Une seconde définition prendrait en compte le point de vue des acteurs. Pour eux, il s’agit d’un état acquis par la naissance et par l’ancienneté, matérialisé par une résidence, une activité spécifique et un patrimoine dans la ville et symbolisé par une mémoire du lignage dans la cité[3]. Par cette dernière définition, M. H. Chérif établit une seconde catégorie de baldî-s, car il exclut par sa définition ceux qui habitent ces grandes villes mais n’y ont ni patrimoine ni ancienneté. Il est évident que cette définition, qui serait selon lui celle des acteurs au début du XVIIIe siècle, est celle de ce seul sous-groupe de citadins. Les recherches ultérieures ne se sont pas démarqués de cette définition double. La plupart des recherches ne se sont intéressés toutefois qu’à cette catégorie étroite, et même aux seuls notables parmi eux. Ils ont été notamment l’objet d’une recherche socio-historique collective (RCP 539 du CNRS) dans laquelle nous retrouvons la plupart des chercheurs sur cette question, et à laquelle j’ai moi-même collaboré([4]). Les familles tunisoises choisies dans l’étude l’ont été parmi les couches aisées des citadins tunisois sur une période couvrant près de deux siècles, et assimilées à des familles baldî-s. Bien que les différences dues aux origines ethniques, géographiques et aux activités professionnelles aient été prises en compte, elles n’ont pas servi à définir la catégorie elle-même par rapport aux autres catégories citadines mais uniquement à établir des sous-catégories internes. De fait, baldî signifiait pour nous simplement citadin notable.
Le premier problème qui se pose aux historiens est de trouver des indices qui pourraient les aider à mieux fixer les frontières de ce groupe, telles que l’ont fait les acteurs dans les contextes du moment. Or, les recherches qui se sont intéressé à la société citadine de la régence de Tunis ont bien du mal à retrouver dans les documents de l’époque la mention de la catégorie sociale baldiyya et encore moins, de quoi la définir. A ma connaissance, les seules références citées dans ces travaux sont les suivantes. La première mention, la plus ancienne, fait référence à une catégorie fiscale, celle de la mâshya baldî mentionnée pour la première fois dans le registre n° 1 sus mentionné et qui reste en usage de 1676 jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Le sens du terme a été accepté comme désignant les unités de culture vivifiées et appropriées par des citadins (mâshya baldî), et imposées moins que celles entre les mains de bédouins (mâshya `arbî) mais plus que celles détenues par les Turcs (mâshya turkî)([5]). Les autres mentions sont éparses dans la littérature des chroniqueurs. Ibn Abî al-Dhiyâf, dans trois de ses biographies, écrites à la fin de l’époque moderne (min a`yân baldiyyat al-hâdhira, min a`yân baldiyyat al-rabdh)([6]), définit ainsi des personnages plutôt obscurs, à l’exception d’un shaykh de Bab Swîqa, qui joua un rôle dans la répression d’une révolte turque au début du XIXe siècle. M. S. Bin Yûsuf relate l’assimilation progressive deskûlughlî-s aux baldiyya, mais sans définir exactement ce qu’il entend par le terme([7]). Enfin M. Ibn Salâma taxe les baldiyya de lâcheté et de couardise([8]). J’oublie certainement d’autres mentions, mais je crois en avoir retrouvé l’essentiel.
Si l’existence d’une catégorie fiscale est tout à fait documentée pour être tenue pour réelle, les autres indices ne permettent guère d’aller au delà d’un sens général désignant l’ensemble des citadins ou d’un sens plus étroit, désignant une catégorie particulière différente des Turcs. Reste entière la question de savoir qui peut être inclus dans cette catégorie restreinte : les descendants des Turcs, désignés d’abord péjorativement par kûlughlî-s, puis s’autodésignant par hanafiyya, en font-ils partie ? Et les nouveaux immigrés andalous et leurs rejetons ? Qu’en est-il des citadins fraîchement installés et les familles qu’ils y fondent ? Si la réponse est positive, à quel moment et sur quels critères se fait l’intégration ? La naissance, l’ancienneté, le prestige et la notabilité sont-ils des critères pertinents et pour qui ? Qui sont les barrânî-s, présentés comme le versant opposé au baldî-s, et forment-ils une catégorie particulière? Le plus souvent les chercheurs ne se sont pas posé ces questions et ne se sont pas interrogé sur les personnes qu’une telle catégorie recouvrait pour remettre en question la catégorie elle-même et plus généralement, la catégorisation sociale, quitte à avouer par la suite, si tel est le cas, l’incapacité d’y répondre.
Les définitions proposées et bâties sur ces seuls indices ne sont fondées sur aucun document d’époque. Sans préjuger de leur adéquation à la réalité étudiée, j’estime que c’est une simple projection. Les historiens (et je m’y inclus, comme collaborateur à la recherche collective de Hasab wa nasab) partent de leur perception impressionniste de leur propre réalité sociale, pour la retrouver, immuable, à travers toute l’époque moderne et contemporaine. L’indice le plus évident de cette pratique est la transcription du terme selon sa prononciation contemporaine (baldî et baldiyya), attestée par l’usage courant au XXe siècle, au détriment d’une prononciation conforme à la langue arabe classique (baladî/baladiyya ou baladiyyûn), sans que le choix ne soit justifié. Il est vrai que les registres fiscaux sont écrits dans une langue proche d’un usage vernaculaire et dialectal de l’arabe, mais nous n’avons aucun moyen de pencher pour telle ou telle prononciation. La plupart des chercheurs n’ont  pas essayé d’une manière systématique de voir s’il existait d’autres indices contemporains des acteurs, et n’ont pas non plus cherché à remonter le temps pour préciser l’origine du terme et en comprendre les usages divers, comme si les frontières de cette catégorie étaient tracées une fois pour toutes. Le plus important, cependant, est que la charge conflictuelle que le terme charrie, qui se manifeste d’une manière différente actuellement, a été gommée et elle n’est jamais évoquée. Pourtant, bien que rares, d’autres mentions existent, qui pourraient mieux nous éclairer sur la question.

Conflits identitaires et rivalités institutionnelles

La première mention de ce type est l’objet pourtant de tout un ouvrage d’un savant de la première moitié du XVIIIe siècle. Sous la forme d’une épître de fiqh sur les devoirs du prince, Muhammad Sa`âda publie en 1723 sa Qurrat al `ayn([9]), où, sous couvert de montrer les vertus de Husayn Bin Alî, il s’en prend explicitement à sa manière de gérer la justice et le rend responsable des abus des magistrats, abus dont il a été lui-même, un temps, la victime. Le problème est, pour lui, que le prince accepte le monopole des charges judiciaires à différents niveaux (suppléance malikite du qadhâ, iftâ, `adâla, gestion des waqf-s) par une famille, les Rassâ`, et les baldî-s en général.  Lui-même ne peut accéder à ces charges, car considéré comme barrânî,  parce qu’il est originaire de Monastir, petite ville du Sahel. Il commence par remettre en question le sens du terme, puisque le nom de relation (nisba) baladî (ou baldî?)peut s’appliquer à des cas de figure très divers, allant de ceux qui appartiennent à une ville par leurs ancêtres ou leur naissance, à ceux qui y ont résidé quelque temps. Pour sa part, et bien qu’il soit né à Monastir, petite ville du Sahel, il a grandi à Tunis et y réside depuis longtemps, ses aïeux paternels y ont également résidé et il est, du côté maternel, descendant de Tunisois. Il estime donc qu’il n’est pas un barrânî. Par ailleurs, et en s’appuyant sur le `amal ifrîqien, il tente de démontrer que la charge du qadha ne doit jamais être attribuée à des baladî-s, mais toujours à un homme étranger à la ville. La virulence des attaques contre les Rassâ`, la critique explicite du prince régnant ont sans doute provoqué un scandale à cette époque, dont nous pouvons déceler les traces dans l’expurgation de la copie ultérieure de ce texte des passages les plus gênants pour le prince et la famille visée, ainsi que dans ses mentions très pudiques dans les recueils biographiques([10]).
L’auteur reprend, dans une partie de son argumentation, des textes juridiques du Moyen Âge, où le terme devait être prononcé sous la forme baladî/baladiyya. Il ne signale jamais ni la différence de prononciation ni la différence de sens. Soit il joue sur cette ambiguïté de transcription et de prononciation pour démonter les arguments de ses adversaires, soit nous devons accepter que le terme n’était pas encore prononcé sous la forme baldiyya. En tous cas, au début du XVIIIe siècle, le terme est utilisé et désigne un groupe social, et pas uniquement une catégorie fiscale. Sa`âda identifie un groupe d’acteurs qu’il appelle ainsi où qui se désignent par ce nom, qui désignent comme extérieurs à la ville des barrânî, même s’il conteste les deux définitions. En second lieu, la polémique permet de montrer que plusieurs sens, selon la position de celui qui s’en réclame ou le conteste, et surtout selon la situation dans laquelle il est engagé, sont investis dans le terme : citadin en général, résidant même temporaire de Tunis, un groupe particulier des citadins de Tunis. Troisièmement, ce groupe particulier – et l’auteur lui-même endosse cette définition à certains moments de son argumentation – définit le baldîfondamentalement par l’ancienneté de sa citadinité tunisoise. La possession d’un patrimoine dans la cité, même si elle n’est pas explicitement liée dans le texte au statut de baldî, est cependant l’un des points fondamentaux de son argumentation pour revendiquer son droit d’appartenance à la ville. Il l’oppose au barrânî, de fraîche installation, qui revêt, par opposition, des sens divers (provincial, tunisois de fraîche date). Tous ces points, on le voit, confirment la définition adoptée par M. H. Chérif. Enfin, le quatrième et dernier point, et c’est ce que les recherches ont véritablement ignoré, est la violence des débats identitaires d’une part, et leur enjeu de l’autre : le contrôle des institutions judiciaires de la ville, un enjeu politique.
Les autres mentions permettent-elles de confirmer cette interprétation?
M. S. B. Yûsuf, soldat hanafite d’origine turque, résidant dans une petite ville de province (Béjà) ne permet malheureusement pas de le faire complètement. Il utilise bien le terme au pluriel baldiyya, non pas dans le sens de citadins en général, mais de citadins non Turcs et non kûlughlî-s (de Tunis ou d’autres villes). Le plus souvent, il préfère celui de ahl tûnis, ou pour les gens de Béjà, bâjiyya. Il utilise le terme de hadharî (ou hadhrî ?), cette fois pour désigner un hanafite, menacé de bastonnade par le bey([11]), ou plutôt un mode de vie et une culture citadine. Alî Bâsha humilie un homme «min hadhar tûnis» et plusieurs passages de son ouvrage se font l’écho des rivalités et conflits entre Tunisois et provinciaux. Ces derniers, même résidant à Béjà ou à Mahdia, sont qualifiés de villageois (ahl al-qurâ), et son mépris de sa propre cité et de ses gens éclate à plusieurs occasions, jusqu’à la qualifier, par la voix de Yûnis Bey, de «p… étendue». Mais les Tunisois et leur ville sont également l’objet de son profond dédain, notamment pour leur couardise, leur hypocrisie, leur métissage supposé avec les chrétiens (coptes) ou leur humiliations (dans leur honneur, par le viol et l’esclavage des femmes) par les Espagnols et les bédouins. Tunis et ses habitants dit-il, sont comme un homme sans pantalons, une femme sans voile, ou une jument sans mords([12]). Le métissage avec les Turcs fera passer aux descendants de ces derniers tous leurs défauts. L’ouvrage avance d’ailleurs une explication générale sur la crise politique du XVIIIe siècle. Pour lui, elle est due à la politique de Husayn B. Alî qui s’appuie sur des soldats et des fonctionnaires non Turcs, aussi bien autochtones qu’allogènes ou «créolisés» (Andalous, autochtones, kûlughlî-s…). Il relève également le conflit entre notables tunisois (à la tête desquels, les sharîf-s) et non tunisois, ou de tunisois de fraîche installation. L’enjeu est là aussi, les institutions judiciaires, mais aussi l’imamat de la Grande Mosquée de Tunis et d’une manière générale, les institutions militaires et administratives de la régence([13]). Ces mentions permettent de préciser qu’il désigne par baldiyya les citadins non Turcs et non Kûlughlî-s, mais n’avance rien sur les frontières du groupe par rapports à des groupes autochtones. La question de l’ancienneté de résidence dans la ville n’est pas non plus mentionnée. Le plus important est qu’il permet de confirmer la persistance dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, moment de la rédaction de l’ouvrage, de la violence de ces conflits identitaires et de leurs enjeux politiques.
Hammûda Bin Abd al-`Aziz utilise également le terme de baldî. Il le fait dans une comparaison entre Tunis et les grandes villes du Maghreb et de l’Orient, dans le degré de raffinement de civilisation. Tunis occupe une place intermédiaire. Elle est la première du Maghreb mais n’atteint pas le niveau des grandes villes orientales. «Elle rencontre, dit-il la nature (modérée) du baldî». Épousant le schéma khaldounien, il estime que cette position intermédiaire entre la sauvagerie bédouine (tawahhush al-bâdiya wa khushûnatihim) et le luxe de la civilisation (taraf al-hadhâra wa lakâ`atihim), qui caractérise le prince Alî Bey et le baldî de son époque, se rencontre le mieux chez les nouveaux citadins, ou plutôt la première génération née à Tunis, fils de bédouins et de villageois (abnâ’ al-târi’în `alayhâ min al-badw wa al-qurâ). Ce sont ceux qui possèdent les meilleures mœurs (al-akhlâq al-hamîda). Il emploie aussi le terme de baldiyyîn pour désigner un groupe parmi les Keffois, libérés par Muhammad Bey en 1746. Baldî peut ici signifier citadin en général, mais aussi un groupe particulier de citadins, comme c’est le cas pour le groupe de Keffois. Il n’est pas lié à l’ancienneté. Il n’y a pas non plus trace de conflits identitaires entre citadins et autres, ou à l’intérieur même des citadins. Une version consensuelle en somme de la société citadine, qui est l’empreinte même de cet historien.
En 1846, Muhammad B. Salama, savant issu d’une famille d’origine tripolitaine mais installée à Tunis depuis plusieurs générations, revient sur le problème de l’origine géographique du cadi. Contrairement à Sa`âda, il défend le principe de la réservation des postes judiciaires aux seuls baldiyya. Il part du lieu commun du testament du roi perse Kisrâ à son fils, lui conseillant de respecter les notables (dhawî al-hay’ât), de leur donner le pouvoir,  de prendre en considération les descendants des grandes familles, plus obéissants car tenus par la peur de garder leur prestige, à la différence des étrangers (dakhîl, terme de l’arabe littéraire équivalent à barrânî, utilisé dans le langage courant), qui n’ont rien à préserver. Ces règles ont un correspondant dans le shar`, et particulièrement en ce qui concerne la magistrature. La cadi doit être un baladî (baldî?), parce qu’il est alors affectionné et qu’il connaît les statuts ou qualités sociales (al-maqâmât) Son jugement est alors plus adéquat à la situation, plus acceptable par les descendants des grandes familles (ahl al-ansâb). Il peut également mieux connaître la réputation de probité des témoins. Sa propre expérience en tant que cadi lui a prouvé l’importance de l’image que le cadi doit donner de lui-même : elle doit refléter sa richesse et sa puissance (par les habits qu’il porte et le nombre de ses serviteurs et agents). Il doit donc être riche, ce qui est d’ailleurs conforme à l’une des vertus recommandées par les juristes depuis le Moyen Âge, aussi bien pour éviter la corruption que pour être capable de paraître comme appartenant aux puissants et notables (ahl al-hay’ât). Suit alors un paragraphe sur l’importance du prestige généalogique (nasab) justifié par le culte que l’on voue à celui du Prophète. Il attaque plus directement ensuite la pratique tunisoise de l’imamat de la Zaytûna, lorsqu’il relate la nomination à ce poste d’Ibrahîm al-Riyâhî. Anciennement, lesbaldiyya dit-il formèrent corps (ta`assabû) pour le réserver aux seuls baldî-s, même analphabètes. Après avoir relaté sa monopolisation par les Bîkrî, dont les derniers héritiers ne savaient même pas écrire, et la nomination de Hasan al-Sharîf, (d’une famille de sharîf-s installée à Tunis depuis plusieurs générations) acceptée par tous les Tunisois (ahl al-bilâd), il estime que le candidat qui allie savoir et lignage prestigieux doit primer sur les autres. C’est, grâce à Dieu dit-il, son propre cas, car il est `âlim et sharîf de par ses ascendances à la fois paternelle et maternelle. Bien qu’estimant que la nomination d’Ibrahîm al-Riyâhî soit conforme aux règles dushar`, nul n’ignorait à l’époque les origines obscures du shaykh, et la profonde animosité qu’ils avaient l’un envers l’autre. Remarquons cependant une réflexion négative sur la lâcheté des baldiyya, dont certains seraient capables de se perdre dans les ruelles de la médina. En fait, elle justifie sous sa plume, le privilège qu’ils revendiquent de l’exemption du service militaire, un moment menacé. Ici également plusieurs sens de baldî sont employés : celui des Tunisois en général, de Tunisois de prestigieuse lignée, ou, dans un sens plus juridique, de citadin issu de la ville pour laquelle il est candidat. L’ancienneté n’est pas claire, même si le couplage avec la lignée prestigieuse la suppose. Le conflit identitaire est également évident, assumé et justifié par l’auteur, et encore une fois, son enjeu tourne autour des institutions judiciaires et religieuses de la ville. L’argumentation est double. Elle est aussi bien juridique que renvoyant à la figure du sage persan, l’une des ressources de la justification politique dans la culture musulmane([14]). Enfin, et toujours en utilisant les textes du Moyen Âge, il ne fait pas la différence entre les deux prononciations possibles du terme.
L’usage par Ibn Abî al-Diyâf du terme est restreint. Nous ne l’avons rencontré que trois fois dans ses biographies, écrites vers 1870. Il précise, à propos de certains personnages qu’ils appartiennent aux baldiyya de Tunis ou de son faubourg. Il semble désigner ainsi une catégorie particulière de la ville, puisqu’il définit d’autres personnages, comme appartenant aux Andalous ou aux descendants de Turcs (min a`yân al-andalus, min abnâ’ al-turk). Il accorde toutefois plus d’importance à l’ancienneté du prestige du lignage, ancienneté liée à des familles particulières (min bayt `arîq, qadîm, asîl…) et non à un groupe précis. Quelques passages font référence à des conflits autour des institutions judiciaires, mais rien chez lui n’indique des conflits entre groupes constitués. Il se tait également sur le problème de la qualification au qadhâ, alors qu’il évoque le conflit autour de la question de la naissance locale pour ce qui est des postes politiques dans les revendications des insurgés de 1864. Cette attitude, est, en creux, une prise de position par rapport aux conflits identitaires citadins. Pour lui, me semble-t-il, la question fondamentale est l’autochtonie revendiquée à l’échelle du pays, et le prestige des gens est lié à leurs qualités personnelles et familiales, et non pas dans leur appartenance à un groupe particulier([15]).
On peut donc estimer que le terme est utilisé à Tunis depuis au moins le troisième quart du XVIIe siècle. On peut également estimer qu’il recouvrait au moins deux usages sociaux : celui qui désigne les citadins en général, celui qui est limité à un groupe de citadins dans la ville. Ce dernier est défini par l’ancienneté d’établissement. Les Turcs en sont exclus, tout autant, me semble-t-il,  que leskûlughlî-s, devenus ensuite hanafiyya, au moins jusqu’au XIXe siècle([16]). Il faudra également essayer de le préciser pour les Andalous et d’autres groupes d’origine maghrébine. Les deux sens coexistent donc, et cette coexistence se reflète dans la recherche actuelle. Et comme aujourd’hui, elle est loin d’être pacifique. Les limites du groupe sont l’objet de violentes polémiques et n’ont jamais étés unanimement acceptées. Leurs enjeux sont hautement politiques, en ce sens qu’ils concernent les institutions qui ont en charge la gestion de la cité, notamment judiciaires, religieux et politiques. Le statut ambigu de Tunis, en même temps cité revendiquée par ses habitants comme la leur, et lieu de résidence du pouvoir politique et dont les institutions ont pour vocation de valoir comme institutions du territoire qu’il contrôle, n’est certainement pas étranger à la virulence de ces conflits.

A l’origine du baldî / baladî

Il n’est pas évident que le terme ait été couramment utilisé dans un sens général au Moyen Âge. Ibn Mandhûr ne mentionne qu’un seul usage de baladiyya, celui de l’œuf de l’autruche. L’adjectif baladî n’est pas cité dans l’ouvrage. Dozy, sur la base d’un texte du XIIIe siècle, signale qu’il est en usage en Andalousie, pour désigner «le citoyen», le «bourgeois»([17]). Manifestement, le sens ici traduit par Dozy est anachronique et je n’ai pu avoir accès au texte original pour être plus précis. Sans doute voulait-il dire simplement «citadin». Si le terme est utilisé à Tunis dans le langage courant, son sens ne doit pas être très différent. En revanche, hadhar est plus fréquent pour désigner les citadins. L’absence apparente de termes désignant une catégorie particulière fondée sur sa revendication d’ancienneté, alors que des gens (et peut être des catégories parfois) continuaient à revendiquer des origines andalouses,  prophétiques ou almohades, ne veut pas dire que la catégorie n’existe pas. On utilise pour désigner certains notables, le terme de buyûtât al-tûnisiyyîn (ou buyûtât tûnis) et on signale qu’ils font pression sur le sultan pour qu’il leur réserve les charges judiciaires. Certains sultans en font même un principe. Le terme peut cependant être appliqué aux familles de notables andalous, ou almohades et aux grandes maisons ou familles d’autres villes comme Constantine ou Béja([18]). Le sens de buyûtât est discuté. Alors qu’Ibn Rushd (le philosophe) le comprend comme recouvrant le groupe de ceux qui résident depuis longtemps dans la ville (qawm qadîm nuzluhum bi al-madîna), Ibn Khaldûn, deux siècles plus tard, tout en récusant le point de vue d’Ibn Rushd, estime qu’il doit désigner les familles jouissant d’une puissance ou d’un prestige particuliers dus à leur esprit de corps (`asabiyya), même s’il désigne, métaphoriquement, les descendants, sur quatre générations de telles familles, ayant hérité du prestige de leurs ancêtres([19]). Ibn Khaldûn ouvre ce sens aux non citadins ou aux citadins de fraîche date, c’est à dire aux chefs tribaux et almohades et à leurs descendants et le limite aux seules familles notables. Le philosophe et juriste est un citadin andalou alors que l’historien (et également juriste) est un itinérant sans patrie fixe, cherchant la compagnie des chefs politiques et militaires, souvent d’origine non citadine. La différence de sens recouvre de toute manière deux postures intellectuelles : l’une expose un sens en usage, sociologique, alors que l’autre recherche un sens linguistique et historique, le lie à une conception globale dunasab, à l’origine de la `asabiyya, seule dispensatrice d’honneur et de puissance et vise construire un paradigme qui rendrait compte du social et du politique. Dans tous les cas, la définition d’Ibn Rushd, bien qu’émanant d’Andalousie, pourrait recouvrir un sens ayant aussi cours à Tunis : un certain nombre de notables asseyaient leur prestige social sur leur ancienneté dans la cité et non sur une origine allogène. Pourtant, rien dans la littérature ne semble l’indiquer d’une manière nette et ils ne portaient pas le nom de baldî-s/baladî-s.
Au début du XVIIe s., baldî/baladî apparaît comme une catégorie fiscale. On ne sait s’il est aussi apparu comme une désignation sociale. Le seul texte historique publié au début de ce siècle utilise les termes de tûnisî/twânsiyya([20]) ou dehadharî, comme d’ailleurs celui de barrânî (étranger à la ville ou au pays). Ahmad al-Andalusî, savant de naissance andalouse de la première moitié du XVIIe siècle et dont la conscience identitaire est très affirmée dans son oeuvre, ne cite pas non plus le terme([21]). Un observateur constantinois du même siècle, identifie bien l’accent particulier des Tunisois, dans leur prononciation du qâf, mais les appelle simplement tunusiyyûn([22]). Le contexte textuel dans toutes ces occurrences ne permet pas de préciser s’il s’agit là de citadins en général ou d’un groupe particulier. Ce n’est qu’au début du XVIIIe siècle, avec M. Sa`âda, que nous pouvons affirmer avec certitude que le terme est utilisé pour désigner aussi un groupe particulier de citadins revendiquant une ancienneté d’établissement dans la ville et peut-être dorénavant prononcé sous la forme baldî-s, mais sans qu’on ait le moyen de le savoir avec certitude. Même si on retourne au flou après cette date, on peut accepter la persistance de cet emploi jusqu’au XXe siècle. Le termehadharî également employé au Moyen Âge pour désigner l’ensemble des citadins, persiste encore aussi bien au XVIIe qu’au XVIIIe siècles. Baldî semble avoir pris le même sens que le terme hadhar (ou hdhar?) à Constantine, où, au XVIIe siècle. il désignait un groupe particulier parmi les citadins, fondé apparemment sur l’ancienneté([23]). Le cas de Fès est encore plus proche, puisque à l’époque moderne, le groupe des descendants de Juifs convertis à l’islam, auparavant appelés muhâjirûn ou islâmiyyûn, est dorénavant désigné par bildiyyîn. Ils revendiquent également la primauté sociale dans la ville, parce qu’ils s’estiment les plus anciennement établis([24]). On peut comprendre qu’ils aient préférés délaisser un nom stigmatisant qui  rappelle leur origine juive, et adopter un nom, qui justement, les désigne comme les vrais citadins de Fès. Peut-on essayer de comprendre pour quelles raisons les Tunisois ont abandonné l’usage de hadhar au profit de baldiyya?

Catégorie juridique et catégorie sociale

Le XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle constituent les moments clés d’apparition de cette catégorie avec un tel nom. Son apparition est liée, me semble-t-il, à des enjeux juridiques. Deux contextes peuvent aider à la comprendre.
La première, que nous avons déjà présentée, est fiscale. Les chercheurs ont montré que les Ottomans ont construit dans la régence de Tunis un système fiscal qui prend en compte les qualités des personnes, selon des critères d’origine, de mode de vie ou de service du prince. Vers 1676, certains impôts, comme le talabet la sîfiyya sur les terres céréalières ou le qânûn sur les oliviers du Sahel, étaient payés selon une catégorisation qui renvoie à la fois au mode de vie (baldî/`arbî), à l’origine ethnique ou généalogique (turkî, sharîf), au rapport au prince (rwâtbî,mkhâznî) ou à Dieu (mrâbtîn). J. Ben Tahar a bien montré concernant un autre impôt, la diyya, que son payement obéissait à une stricte hiérarchie sociale et politique, basée sur le sharaf, l’origine ethnique et le service du prince et dont sont exemptés les habitants de Tunis et Kairouan([25]). Le système fiscal reste d’une grande complexité, souvent incompréhensible pour nous([26]).  L’important pour notre propos, est que, durant le XVIIe siècle et pour Tunis en particulier, une catégorisation nouvelle apparaît, que ne connaissait pas, à en croire les recherches actuelles, l’Ifrîqiyya hafside. Elle distingue, parmi les habitants de Tunis, au moins deux catégories fiscales : les contribuables turcs et les baldî-s. Si les Turcs avaient été des timariotes, détenteurs de fiefs fiscaux, ils auraient selon toute vraisemblance été exemptés. Comme ils jouissaient, à Tunis, du statut de janissaires et percevaient donc leurs revenus sous forme de salaires bi-mensuels, ils ont sans doute été considérés comme redevables d’impôts sur les revenus annexes qu’ils pouvaient avoir en menant des activités agricoles. Mais c’est ce statut de janissaire qui explique le privilège de payer moins que les autres. D’autres catégories indigènes, on l’a vu, étaient également favorisées (rwâtbiyya, mkhâzniyya). C’est là une pratique ottomane générale, conforme à une vision de la société partagée entre askeriyya et ra`iyya, et donc à une vision de la justice, acceptée dans l’ensemble par la société.
La catégorie baldî introduit une distinction entre les autochtones eux-mêmes, selon les qualités même des personnes, citadines ou pas. Je n’ai pu déterminer si cette distinction existait dans le système fiscal ottoman appliqué dans les provinces centrales de l’empire([27]). Cependant, cette distinction aboutit à un changement du sens du terme auparavant en usage, parce qu’elle est concomitante de la création de la catégorie turkî. Baldî ne signifie plus citadin, mais un groupe particulier de citadins, du moins ceux qui ne sont pas Turcs. Quel est le critère de différentiation entre Tunisois et non Tunisois, adopté par les Ottomans ? Nous n’avons malheureusement aucun moyen de le savoir pour l’époque de la mise en place du système fiscal, et même pour tout le XVIIe siècle. On peut cependant avancer l’hypothèse qu’au début du XVIIe siècle, toutes les personnes installées à Tunis (ou d’ailleurs, dans d’autres localités de la régence) au moment du recensement fiscal sont enregistrées comme baldî-s. Elles jouissent ainsi d’un privilège fiscal par rapport aux nouveaux arrivants, c’est à dire d’une reconnaissance juridique de leur distinction, fondée sur leur antériorité d’établissement dans la ville, antériorité par rapport au recensement. Ceci dit, il est possible également qu’une autre manière de définir l’appartenance ait été suivie. Jamel Ben Tahar, pour prouver que les payeurs de la diyya à Tunis ou Kairouan ne sont pas des baldî, se fonde sur le fait qu’ils arborent, dans leurs noms, une nisba étrangère à la cité([28]). L’indice est cependant fragile. Dans divers documents couvrant toute l’époque moderne, nous avons rencontré plusieurs cas de personnes nées à Tunis ou dont les familles y sont installées depuis plusieurs générations, mais qui continuent à arborer desnisba étrangères (les plus évidentes sont Turkî et Andulsî). Sont-elles considérées comme des barrânî-s par l’administration ? En 1856, c’est à dire à la fin de la période ici considérée, le décret qui institue l’i`âna, impôt par capitation, exempte, parmi les habitants des cinq principales villes de la régence, ceux qui y appartiennent de souche (asâlatan), à l’exclusion de ceux qui viennent de s’y établir (al-wâfidûn `alayhâ)([29]). Les termes restent ambigus, mais les registres tenus par l’administration fiscale pour la collecte de l’i`âna prouvent que le critère de la asâlaest la naissance([30]). Il est possible également que ce critère ait été adopté par les Ottomans dès le premier recensement. En tous cas, leurs enfants, nés dans la ville, bénéficient du même privilège, et la naissance devient ainsi le critère de distinction entre baldî-s et autres catégories fiscales. Selon toute vraisemblance, cette catégorisation n’a pas fondamentalement changé depuis. En tous cas, une rencontre entre une limite fiscale et une frontière identitaire a eu lieu. Les baldî-s sont ceux qui étaient là en premier et leurs enfants hériteront de ce statut. Indépendamment de la fiscalité, des groupes d’habitants d’agglomérations, aussi bien des villes que des villages (et parfois des tribus comme cela semble être le cas avec les Bani Zîd), s’identifient comme baldî-s, même après l’abolition, au XIXe siècle, des privilèges fiscaux qui sont liés à ce statut. Même installés dans d’autres villes, les baldiyya-s de Mahdiyya, Muknîn ou Tbulba, aussi soumis à l’i`âna que les autres, continuent à être désignés ainsi dans les registres fiscaux. Mais je ne connais pas d’indices qui permettraient de déterminer si Ahmad Ibn Abî al-Dhiyâf ou les fils d’Ibrâhîm al-Riyâhî sont considérés et se considèrent, socialement et non pas fiscalement,  comme des baldî-s.
Pourquoi les Ottomans ont-ils choisi le terme de baladî, au lieu de hadharî, d’un usage plus fréquent dans la ville au moment de leur établissement?
La réponse à cette question n’est pas simple, mais je préfère encore une fois faire confiance au droit, et c’est le second contexte qui pourrait nous aider à mieux comprendre l’apparition de la catégorie et du terme. Si baladî est d’un usage très restreint sinon absent au Moyen Âge, il l’est cependant un peu plus dans le domaine du droit. Le fiqh établit en effet une hiérarchie entre musulmans admis au témoignage selon leur mode de vie : citadins et bédouins. Elle est fondée sur la difficulté d’établir la probité de ces derniers, dans un système judiciaire fondamentalement citadin. Mais cette distinction est également admise dans un autre domaine juridique, les critères de choix des juges. Dès les débuts de la codification du fiqh, plusieurs conditions sont exigées, mais elles s’étoffent de plus en plus. Au XIIe siècle, Ibn Rushd l’Ancien, peut être pour la première fois, rajoute une condition, ou plutôt une vertu hautement recommandée, celle d’appartenir à la population de la ville où il est candidat (min ahl al-balad)([31]). Il n’explique pas, dans son ouvrage la raison de cette exigence. Ibn Râshid (v. en 1331), reprenant les catégories d’Ibn Rushd et sa classification des conditions exigibles d’un candidat à la judicature, transforme le terme min ahl al-balad, en baladiyyan([32]), c’est à dire, un citadin en général, et non pas nécessairement de la cité dont il brigue le qadhâ. Cette transformation n’est pas justifiée dans le texte et devait sans doute être liée à des conflits proches de ceux que nous étudions pour l’époque moderne. Au XVe siècle, al-Burzulî, citant Ibn Rushd, évoque la condition debaladî, dans les mêmes termes que ceux d’Ibn Râshid. Comme al-Burzulî est Kairouannais et mufti à Tunis, on pourrait croire qu’il élargit le sens rushdien à tous les citadins quelle que soit leur ville de provenance. Mais la justification qu’il donne de cette condition, et qu’Ibn Rushd n’avait pas donnée, confirme le sens étroit entendu par ce dernier : c’est pour sa connaissance des gens et de leur probité, donc comme témoins potentiels([33]). Pourtant, il oppose à cette opinion l’exception d’Ibn Abd al-Salâm (m. en 1348), qui considère ce trait comme un empêchement dans les petites cités où officient les suppléants de qâdhî al-jamâ`a, c’est à dire dans toutes les cités de l’Ifriqiyya dépendantes de Tunis, position endossée par Ibn Arafa([34]). A l’évidence, seuls les gens appartenant d’une manière ou d’une autre à la cité de candidature sont dans ce cas. Aucune définition de baladî n’est proposée, et si l’on s’en tient à cette condition de connaissance de l’état des témoins, beaucoup de résidents qui ne sont pas nés dans la ville peuvent y prétendre.
C’est sur ce point particulier et les ambiguïtés des termes qui l’expriment que se sont focalisées le argumentations des différents protagonistes dans les textes qui s’égrènent du XIIe au XIXe siècle. Un candidat au poste de cadi issu de la cité (baladiyyan, min ahl al-balad) auquel il est candidat doit-il être préféré à un candidat qui n’en est pas issu?
Le premier usage du pluriel baladiyya pour désigner les citadins (mâshya milk al-baladiyya), apparaît également dans le registre n° 1. On peut émettre, sur cette base, l’hypothèse que le terme est inventé au XVIIe siècle, sans doute tiré de l’usage courant et prononcé sous la forme baldiyya. L’ouvrage de Sa`âda est l’indice que cette catégorisation juridique est devenue aussi une catégorisation sociale, puisqu’il s’appuie fondamentalement sur ces textes juridiques du Moyen Âge pour contester le monopole supposé des baldîyya, ici groupe social. Du point de vue de sa forme, l’épître appartient également à un genre habituellement classée comme juridique. On peut faire la même remarque à propos des argumentations de M. Ibn Salâma. Mais ce ne sont pas les seuls arguments qu’ils utilisent ou qu’ils combattent. Ils renvoient tous deux également à des visions sociales, liées à l’ancienneté, le prestige, l’esprit de corps (`asabiyya) autour d’un emblème (baldiyya). On retrouve cet esprit de corps chez Ibn Yûsuf, qui anime selon lui les baldiyya et leurs adversaires. Si la catégorie est juridique elle est aussi (ou est devenue) au XVIIe siècle, une catégorie sociale.

Conclusion

Les frontières du groupe baldî ont donc été toujours l’objet de polémiques entre les différents acteurs sociaux, qu’ils soient eux mêmes citadins ou ruraux, tunisois ou provinciaux, Tunisois de «vieille souche» ou nouvellement arrivés. La catégorisation fiscale a joué selon toute vraisemblance un rôle fondamental dans son apparition. L’institution politique participe ainsi à la création des catégories sociales. mais elle ne peut éviter les pressions des uns et des autres qui déstabilisent les sens qu’elle fixe dans un contexte particulier, en recourant à d’autres légitimités dans d’autres contextes. Les frontières sont en réalité mouvantes. Si le chercheur fixe d’autorité et à partir de son expérience subjective les frontières d’une catégorie, et même si sa projection est très proche des réalités de l’époque qu’il étudie, sa démarche a peu de chances de révéler les contextes de l’image qu’il construit, ou du discours qu’il étudie. Or, seul ce contexte, tel qu’il est perçu par les protagonistes est susceptible d’avoir une quelconque signification historique. Ici, les conflits idéologiques sur ces frontières identitaires étaient liés à des rivalités autour des institutions de la ville, autour d’un monopole supposé des Tunisois se revendiquant de vieille souche, sur la judicature et l’imamat de la Zaytûna, dans un système qui ne faisait pas de différence entre institutions propres à la cité et institutions de la capitale d’un territoire. Les polémiques publiques se sont pour l’essentiel limitées au cadre juridique, sans doute considéré par les acteurs comme le plus légitime pour établir des hiérarchies au sein de la population. Même si des notions comme la notabilité, l’ancienneté, le prestige, la fortune participent de la création et de la légitimation des catégories sociales, seul le droit permet d’affirmer publiquement une revendication pleinement défendable, même contre la personne même du prince. M. Sa`âda tire sans doute l’essentiel de ses revenus des pensions et faveurs du prince, mais sans doute encore plus de son statut reconnu de savant du droit. Son statut de  faqîh lui permet de remettre en cause, publiquement, violemment et impunément, la politique même du prince. Les rapports avec le pouvoir sont loin d’être uniquement régis par la seule violence des armes. Ce qui devrait, je pense, nous pousser à mieux faire attention au droit et à la manière dont les statuts sociaux sont, entre autres, fixés par la loi. Par ailleurs, ces statuts ne sont pas unanimement acceptés, parce qu’ils ont des rapports étroits avec les perspectives qu’elles ouvrent aux individus et groupes sociaux. Les autochtones ou les citadins bataillent continuellement non seulement avec des groupes exogènes, mais également entre eux pour avoir la main sur les institutions politiques. Ces conflits ont aussi, nécessairement, un impact  sur le déroulement des événements historiques et devraient, si on les prend suffisamment en compte, nous aider à mieux approcher les processus historiques.


[1]Pouvoir et société dans la Tunisie de H’usayn Bin `Ali (1705-1740),  Tunis, Publications de l’Université de Tunis, 2 t., 1984-1986 ; «La Déturquisation du pouvoir en Tunisie : classes dirigeantes et société tunisienne de la fin du XVIe siècle à 1881», Cahiers de Tunisie, 117-118, 1981, pp. 177-197.
[2]– T. Bachrouch en revanche n’accorde guère d’importance aux baldî-s comme catégorie particulière, son approche étant fondée sur des prémisses différentes de celles de M. H. Chérif. Dans son Encyclopédie de la ville de Tunis, Tunis, CERES, 1999 (en arabe), la matière baladiyya renvoie uniquement au Conseil municipal de la ville. Pour lui, le régime autonome est une construction des Turcs et des allogènes. Il n’était pas fondé sur une alliance entre pouvoir et catégories sociales, mais sur une opposition entre une élite politique et militaire dominée par les Turcs d’une part, et unera`iyya pourvoyeuse des ressources fiscales de l’autre. Il n’estime pas l’évolution historique particulièrement signifiante. Cf. Le saint et le prince en Tunisie, Tunis, Faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, 1989.
[3] – Chérif (M. H.), Pouvoir et société…, op. cit., t. 1, pp. 43-44.
[4] – Ferchiou (S.) dir., Hasab wa nasab. Parenté, alliance et patrimoine en Tunisie, Paris, CNRS, 1992.
[5] – Chérif (M. H.), Pouvoir et société…, op. cit., pp. 43-44 ; Bachrouch (T.),Formation sociale barbaresque et pouvoir à Tunis au XVIIe siècle, Tunis, Publications de l’Université de Tunis, 1977, p. 147 ; Hénia (A.), Le Grid. Ses rapports avec le beylik de Tunis (1676-1840), Tunis, Publications de l’Université de Tunis, 1980, pp. 55-56; Idem., Propriété et stratégies sociales à Tunis (XVIe-XIXe siècles), Tunis, Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, 1999, pp. 169-172.
[6]– Cité par Demeersman (A.), «Vue générale sur les catégories sociales»,IBLA, 117, 1967, pp. 1-12 et Ibn Abî al-Dhiyâf (A.), Ithâf ahl al-zamân bi akhbâr mulûk  tûnis wa `ahd al-amân, Tunis, t. 7, pp. 36 et 135, et t. 8, p. 56.
[7] – Chérif (M. H.), Op. cit., t. 1, p. 273.
[8] – Chater (Kh.), Dépendances et mutations précoloniales. La Régence de Tunis de 1815 à 1857, Tunis, Publications de l’Université de Tunis, 1984.
[9] – Sa`âda (M.), Qurrat al-`ayn bi nashr fadhâ’il al-malik husayn, manuscrits de la Bibliothèque Nationale n° 7129 et 21730. Sur l’auteur et l’oeuvre, voir  Abdesselem (A.), Les historiens tunisiens des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Essai d’histoire culturelle, Paris, Klincksieck, 1973, pp. 193-205.
[10]– Bargaoui (S.), «Débats identitaires et logiques territoriales : l’organisation de la justice malikite à Tunis du XVIIe au XIXe siècle», Studia Islamica, à paraître.
[11] – Cet homme «lâ yaqbal shay’ mina al-hamm mutarabbî fî al-dalâl bayn al-ab wa al-umm, li annahu hadharî wa al-hadharî lâ yutîq al-dhull wa la yasbir `alâ al-qahr»,  al-machra` al-malakî fî saltanat awlâd alî turkî, Bibliothèque Nationale, mns n° 18688, f° 223 r°.
[12] – Idem, Al-Takmîl alshâfî li al-ghalîl, Bibliothèque Nationale, mns n° 5264, f° 177 v°.
[13] – Idem, al-mashra`…, Op, cit., f° 229 r°, et mns n° 5249, f° 115 v° par exemple (merci à F. Mostghanmi d’avoir bien voulu me signaler ce dernier passage).
[14]–  Dakhlia (J.), Le divan des rois.
[15]– Demeerseman (A,), Op. cit., et «Ascendance familiale», IBLA, 123, 1969, pp.17-36, réunis avec d’autres travaux dans Aspects de la société tunisienne d’après Ibn Abî l-Dhiyâf, Tunis, IBLA, 1996.
[16]– Bargaoui (S.), «Des Turcs aux Hanafiyya-s : la construction d’une catégorie «métisse» à Tunis aux XVIIe et XVIIIe siècles», Annales, Histoire, Société, à paraître.
[17] – Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, Paris, 1927, t.1, p. 109.
[18]– Al-Zarkashî (M.), Târîkh al-dawlatayn al-muwahhidiyya wa al-hafsiyya, Tunis, al-maktaba al-`atîqa, 1966, pp., 70, 88, 106, 107, et 115; al-Shammâ` (M.), Al-adilla al-bayyina al-nûrâniyya fî mafâkhir al-dawla al-hafsiyya, Tunis, al-dâr al-`arabiyya li al-kitâb, 1984, p. 57 : Hasan (M.), al-madîna wa al-bâdiya bi ifrîqiyya fî al-`ahd al-hafsî, Tunis, Faculté des Sciences Humaines et Sociales, 1999, pp. 690 et 720-721.
[19]– Ibn Khaldûn, Al-muqaddima, Beyrouth, dâr ihya’ al-turâth al-arabî, s.d., p. 135.
[20]– Ibn Abî Lihya (M.), Nûr al-armâsh fî manâqib al-qashshâsh, Tunis, al-maktaba al-`atîqa, 1998, pp. 171, 177, 269, 300, 328, 392, 483 et 592, par exemple.
[21]– L’auteur et son oeuvre sont l’objet d’une recherche en cours conduite par Samah Bûzurrâ`a.
[22]– Al-Fakkûn ((A.), Manshûr al-hidâya fi kashf hâl man idda`â al-ilm wa al-wilâya, Beyrouth, dâr al-ghrab al-islâmî, 1987, p. 110. Une démarcation linguistique est donc déjà à l’oeuvre à cette époque, mais nous ne pouvons pas mieux la préciser. Ainsi, un muftî tunisois de la fin du XVIe siècle portait le nom d’Abû al-Qâsim al-Burshukî, et nous ne savons pas comment ce nom était prononcé. Son contemporain, le muftî Abû al-Qâsim Adhdhûm d’une vieille famille kairouannaise, écrivait son prénom sous la forme de Bilqâsim/Bilgâsim, ce qui fait pencher la balance du côté d’une prononciation actuellement plutôt rurale.
[23] – Al-Fakkûn (A.), Op. cit.,  pp. 79, 83 et 204.
[24] -Garcia-Arenal (M.), «Les Bildiyyîn de Fès, un groupe de néo-musulmans d’origine juive», Studia Islamica, 66, 1987, pp. 113-143.
[25] – Bin Tahar (J.), Al-fasâd wa rad`uhu, Faculté des Lettres de La Manouba, 1995, pp. 45 et ss.
[26]– Même les différentes catégories imposées restent peu claires : que veut dire par exemple ce groupe de baldiyya parmi les Shîhiyya tribu bédouine du Nord-est ? Qui sont ces musarrahîn (exemptés ?) du qânûn du Sahel ? Pourquoi les Djerbiens avaient-ils un traitement privilégié ? Et qui sont ces «étrangers» (barrânîn) propriétaires à Qsîba  de la circonscription de Monastir, paradoxalement favorisés par rapport aux autres villageois ?  Cette complexité semble se réduire plus tard, peut être depuis le règne de Husayn Bin Alî à deux catégories : arbî d’un côté et milk de l’autre pour les terres céréalières, ou bien encore rwâtbiyya et shurfa d’un côté, ra`iyya de l’autre pour le qânûn du Sahel. Cf. Archives Nationales, registres n° 1, 2, 3,10, 34, 83 et 1029 par ex.; Chérif (M. H.), Pouvoir et société…, op. cit., t.1, p. 274 ; Hénia (A.), Stratégies…, op. cit., pp. 169-172.
[27] – L’école de droit hanafite reconnaissait aux habitants des villes des privilèges fiscaux, liées à leurs activités en tant qu’artisans ou marchands et aux types de taxes qu’ils devaient payer en tant que tels. Mais elle n’établissait pas de catégorisation fiscale fondée sur la qualité même des  personnes, dès qu’il s’agissait de musulmans libres et adultes, sauf d’une manière marginale dans le domaine de la zakât sur les biens invisibles (amwâl bâtina). Et pour ce qui concerne notre propos, elle ne reconnaissait aucune différence de ce type dans le domaine des taxes sur les terres, qu’elles soient de statut `ushurî ou le kharâjî. Cf. Johansen (B.), «Amwâl zâhira and amwâl bâtina. Town and coutryside as reflected in the tax system of the hanafite school», Studia Arabica et Islamica. Festschrift for Ihsân `Abbâs on his Sixtieth Birthday, American University of Beirut, Beirut, 1981, pp. 247-263.
[28] – Bin Tâhar (J.), Op. cit., ; Bin Abd al-`Azîz (H.), al-Kitâb al-bâshî, ms de la Bibliothèque Nationale n° 351, p. 886.
[29] – Ibn Abî al-Dhiyâf (A.), Op, cit., t. 4, pp. 228-232.
[30] -Voir par exemple, aux Archives Nationales, les registres 661 et 701, ou des contribuables sont exemptés de la taxe car nés à Tunis (mawlûd bi tûnis). Moncef M’halla discutant de la distinction établie par l’i`âna entre habitants de la régence, n’a pas cherché à comprendre la manière dont a été défini le statut de citadin, le sens du terme asâlatan. Il a bien vu l’importance du décret établissant cet impôt pour une définition de la citadinité, et qu’aux yeux du pouvoir central, il n’existe dans la régence que cinq villes proprement dites : Tunis, Kairouan, Sfax, Sousse et Monastir. Cependant, il suffit, toujours aux yeux du pouvoir, d’être né dans l’une de ses villes pour y appartenir, sans obligation d’intégration culturelle dans le tissu social antérieur, c’est à dire en étant toujours considéré par les citadins de plus vielle date comme appartenant à une catégorie distincte. La catégorisation fiscale ne concorde pas toujours avec la catégorisation sociale. Cf. «Monastir au XIXe siècle. A propos de la ville et de l’urbanisme arabo-musulman», Africa, XIII, 1995, pp. 243-259.
[31] – Carmona (A.), «Le malékisme et les conditions requises pour l’exercice de la judicature», Islamic Law and Society, V. 7, 2, 2000, pp. 122-158, relève qu’Ibn Rushd est le premier à introduire cette condition souhaitable, mais ne lui accorde aucune importance dans ses analyses.
[32]Al-Fâ’iq fî al-ahkâm wa al-wathâ’iq, Bibliothèque Nationale, ms n° 6151, t. 4, f° 37 v° et Lubâb al-lubâb, al-maktaba al-`ilmiyya, Tunis, 1346h, p. 253-254 : « ghaniyyan, laysa bi muhtâj wa lâ midyân, baladiyyan ma`rûf al-nasab».
[33] – Al-Burzulî (A.), Jâmi` masâ’il al-ahkâm, Beyrouth, dâr al-gharb al-islâmî, 2002, t, 4, p. 56..
[34]– Adhdhûm (M.). al-Mabânî al-yaqîniyya fî al-mas’ala al-`aydûdiyya, ms n°9605, Bibliothèque Nationale, f° 21 r°.

Source : Mélanges Mohamed Hédi Chéri, Diraset-études maghrébines, Tunis, Centre de publications universitaires, 2007

Show More
Close