Présentation
Passée l’euphorie du « Printemps arabe », jamais le monde n’a semblé être autant dans l’impasse. Il y a comme un air de désenchantement qui semble gagner chercheurs et décideurs. Et il se trouve de plus de plus de politiques et d’intellectuels qui refusent les tentatives de compréhension que proposent les sciences sociales, déniant ainsi à ces sociétés le droit de réfléchir à leurs propres impasses. C’est la complexité des faits sociaux mise en évidence par les chercheurs qui est ainsi niée.
Les sciences sociales ne peuvent se limiter, dans ce contexte, à essayer de convaincre de leur propre légitimité. Elles se doivent aussi de réfléchir à ce qui pose problème dans leurs propres outils de compréhension. Si certains chercheurs, aux lendemains des révolutions de 2011 ont célébré l’aube d’une nouvelle « épistémologie » des sciences sociales, d’autres, plus modestement se sont engagés dans l’interrogation des paradigmes qui ont dominé dans nos champs de réflexion, et s’affairent à construire d’autres plus adéquats. Or, quand bien même les profonds bouleversements qui secouent notre monde sont porteurs de visions et d’approches nouvelles, il ne faut pas oublier qu’ils sont eux-mêmes les produits – du moins partiellement –de capacités accrues acquises par nos sociétés de mieux réfléchir sur elles-mêmes.
Nous proposons à ceux qui veulent bien nous rejoindre dans cette rencontre, d’essayer de réfléchir sur ces transformations profondes des outils des sciences sociales, de leurs institutions et de leur réception. Sur leurs capacités à comprendre ces phénomènes sociaux, sur leurs limites, sur les remises en question autant que sur les propositions nouvelles et les promesses qu’elles portent. Il n’y aura pas lieu de faire une présentation désincarnée des théories qui ont cours dans leurs disciplines respectives ni un simple récit des événements et phénomènes sociaux mais de présenter des expériences personnelles, sociologiques, anthropologiques ou historiographiques, qui puissent rendre compte de méthodes, de champs et d’acteurs nouveaux de la recherche en sciences sociale à partir du « terrain » tunisien. Nous voulons nous pencher avec eux sur ces expériences qui essaient explicitement de débrouiller la manière dont la recherche a été littéralement déroutée par la révolution.
Le projet de cette rencontre consiste donc à prendre la mesure des bouleversements concrets et pratiques directement induits par la Révolution depuis 2011 : évolution des institutions mais aussi et surtout changements de paradigmes, mutations de la population en recherche et engagée dans l’enquête, mutations de la demande sociale. Il s’agira donc d’analyser non pas des résultats de recherches mais leurs conditions nouvelles de production sur un plan à la fois intellectuel et pragmatique.
En un mot, il s’agit de scruter les nouveaux objets, les nouveaux outils, les nouveaux lieux et les nouveaux intervenants dans le champ en mutation des sciences sociales.
Nous proposons, sans exclusive, les axes réflexifs suivants :
- Les nouvelles implications des institutions de rechercheaprès la Révolution : l’engagement des enseignants, chercheurs, étudiants et son impact sur les universités et institutions de recherche (y compris étrangères, Cemat, Irmc…)
- Les nouvelles thématiques: le corps, les luttes sociales féminines, les nouvelles modalités d’expression et de lutte des jeunes, les régions (surinvesties ou délaissées)…
- Un nouveau rapport au terrain: qu’il soit développé par de nouvelles recherches de Tunisiens ou de chercheurs étrangers ou basés à l’étranger…
- De nouvelles autorités : celles des fondations, des experts et organismes nationaux (associations) et internationaux répondant de manière plus ou moins adéquates à une demande sociale, et induisant une effervescence éditoriale, jusqu’à l’inflation d’écrits de tous statuts.