Documents du Collectif du 18 Octobre pour les Droits et les Libertés
Table des matières
Document 1. Communiqué de presse (traduit de l’arabe)
Document 2 : Brochure du Collectif du 18 octobre.
Document 3 : Textes du Collectif 18 octobre Pour les Droits et les Libertés en Tunisie à Paris.
Document 4 : A propos d’une dérive.
Document 5 : Réponse de Nejib Chebbi aux critiques «Amorce d’un débat».
Document 6 : Lotfi Zitoun à propos du 18 oct en 2012 «Nous avons renoncé à l’esprit du 18 octobre».
Document 1. Communiqué de presse(traduit de l’arabe)
La grève de la faim collective du 18 Octobre 2005 a constitué un moment et une étape privilégiés dans la longue marche pour la conquête des libertés fondamentales dans notre pays. Cette grève a, en effet, fédéré différents partis et sensibilités politiques, ainsi qu’un certain nombre de composantes et d’acteurs de la Société Civile autour des trois revendications essentielles relatives à la liberté d’expression et de presse, à la liberté d’organisation, à la libération des détenus politiques et à la promulgation d’une loi d’amnistie générale. Cette action a permis, dans le même temps de relever le défi constitué par la grave dégradation de la situation sociale et politique dans le pays – et notamment au niveau de l’état des libertés – enregistrée à la veille de la tenue à Tunis à la fin du mois de Novembre du Sommet Mondial de la Société de l’Information (SMSI).
L’aspect inédit et audacieux de ce mouvement ainsi que son caractère unitaire ont suscité un regain d’intérêt et de mobilisation dans des milieux aussi divers que ceux des militants politiques, des défenseurs des droits humains, des syndicalistes, des représentants des ordres professionnels, des figures du monde de la culture et des arts, de la jeunesse et de l’université et des milieux de l’émigration tunisienne.
Au-delà des manifestations de sympathie avec les grévistes, cette mobilisation a pris des formes multiples de participation agissante, contribuant ainsi à élargir le mouvement autour des trois revendications avancées. La grève de la faim du 18 Octobre a suscité, dans ces conditions, une large campagne de solidarité internationale et elle a bénéficié d’une couverture médiatique importante qui a révélé au monde entier les épreuves endurées par les tunisiennes et les tunisiens en raison des atteintes systématiques à leurs droits et à leurs libertés fondamentales.
Tous ces éléments ont contribué au succès de ce mouvement et ont permis à la mobilisation qu’il a suscitée d’ouvrir des perspectives sérieuses pour la poursuite de l’action unitaire engagée au niveau des luttes pour les libertés et en vue de stimuler le dialogue entre les différentes composantes de la vie politique et de la société civile tunisienne. Ce dialogue devrait permettre, dans ces conditions, de parvenir à une vision commune du standard démocratique minimum qui permettrait de garantir aux tunisiens l’émergence d’un système politique fondé sur l’exercice effectif de la citoyenneté, sur la base du respect de leurs droits et de leurs libertés inaliénables, ainsi que de la sauvegarde de leur dignité nationale.
Les soussignés – représentants de partis et de sensibilités politiques, de composantes de la société civile et membres indépendants – ont positivement pris acte de l’appel lancé par les grévistes de la faim le 18 Novembre 2005 au terme de leur action, ainsi que des conclusions du rapport final d’évaluation de la Commission Nationale du soutien à la grève pour les Droits et les Libertés présenté au cour de l’assemblée de la matinée du 04 Décembre. Ils ont décidé, sur cette base, de créer le « collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés » en tant qu’instance nationale ayant pour objectifs :
1) La poursuite de l’action unitaire dans l’esprit qui a marqué le mouvement du 18 Octobre, caractérisé par l’audace et l’action militante et de terrain, en vue de la réalisation :
- a) de la liberté d’expression et de presse et notamment par la suppression de la censure à laquelle sont confrontés les publications et l’Internet ainsi que l’élimination de toutes les contraintes et les mesures coercitives consacrées par le code de la presse et le code pénal, la levée des entraves et des pressions imposées aux journalistes, l’exercice effectif et sans discrimination de la liberté de presse et de lancement de stations radios et de télévision, la mise en place d’une instance pluraliste et autonome de régulation du secteur de l’audio-visuel garantissant l’objectivité de l’information et son ouverture à l’ensemble des courants politiques et de pensée.
- b) La liberté d’organisation des partis politiques et de associations par la reconnaissance de tous les partis et associations aspirant à une existence légale et par la levée de toutes les contraintes imposées aux activités des instances politiques, civiques et syndicales, ainsi que par le respect de leur autonomie et de leur liberté d’action.
- c) La libération de tous les détenus politiques et la cessation de tous les procès politiques y compris ceux qui sont organisés abusivement sous le couvert de « la lutte contre le terrorisme ». Cette libération doit se conjuguer avec la promulgation d’une loi d’amnistie générale en faveur de toutes celles et de tous ceux qui ont fait l’objet durant les cinq décennies écoulées, de procès et de mesures arbitraires en raison de leurs opinions et de leurs activités politiques, cette amnistie devant prévoir un dédommagement équitable pour tous les préjudices matériels et moraux subis.
2) La création d’un « Forum du 18 Octobre » en tant qu’espace de dialogue entre les différentes sensibilités intellectuelles et politiques tunisiennes, autour des questions fondamentales posées par l’avènement d’un système démocratique dans le pays. L’objectif de ce dialogue est de parvenir à un accord sur un « pacte démocratique » qui garantisse à l’ensemble des tunisiens l’exercice effectif de leurs droits et de leurs libertés fondamentales et la sauvegarde de leur dignité nationale, tout en précisant les critères et les standards que l’Etat doit observer pour garantir ces droits et ces libertés en toutes circonstances et par delà l’appartenance idéologique ou politique de ceux qui sont appelés, par le suffrage populaire, à exercer le pouvoir pour une période déterminée. Le collectif, publiera ultérieurement un document constitutif pour ce Forum précisant les axes du dialogue, ses mécanismes de mise en œuvres et son agenda, en donnant la priorité aux axes relatifs à la liberté de conscience, à l’égalité de genre (hommes – femmes), à l’intégrité physique et aux questions ayant trait à l’identité du pays.
3) La poursuite du dialogue avec les différentes sensibilités intellectuelles et politiques et les instances civiques impliquées dans la lutte pour la liberté et la construction d’un Etat démocratique et d’une société civile forte et agissante dans le but d’élargir la composition du collectif et d’assurer sur un pied d’égalité la participation de ces composantes aux actions que le collectif se propose d’impulser sur la base des principes et des objectifs qui ont présidé à sa création.
Le collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés est composé de représentants de partis et de courants politiques, ainsi que d’acteurs au niveau des composantes de la société civile sur la base de la pluralité et de l’équilibre. Il agit en concertation directe avec les instances régionales et locales poursuivant les mêmes objectifs et il se propose de promouvoir en toutes circonstances la concertation et la coordination avec toutes les instances politiques et civiques concernées par ses objectifs et ses activités.
Les signataires :
Ahmed Nejib Chebbi et MongiEllouze (Parti Démocratique Progressist))
HammaHammami (Parti Ouvrier Communiste de Tunisie)
AbderraoufAyadi et FethiJerbi (Congrès Pour la Républiqu)
Mustapha Ben Jaafar et Khalil Zaouia (Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés)
BechirEssid (Courant Unioniste Nassérien)
Ahmed Khaskhoussi (Mouvement des Démocrates Socialistes – Structures légitimes)
ZiadDaoulatli et Samir Dilou (Islamistes)
Lotfi Hajji (Journaliste)
Mohamed Nouri (Association Internationale de Soutien auxPrisonniers Politiques)
Mokhtar Yahiaoui (Centre de Tunis pour l’Indépendance des Magistrats et des Avocat))
RadhiaNasraoui (Association Tunisienne de Lutte contre la Torture)
JelloulAzouna (Ligue des Ecrivains Libres)
FethiChamkhi (Raid – Attac Tunisi)
Abdelkader Ben Khemis (Conseil National pour les Libertés en Tunisie)
Ali Ben Salem (Amicale des Anciens Résistants)
KhemaisChammari (Indépendant)
AyachiHammami (Indépendant)
Anouar Kousri (Indépendant)
Habib Marsit(Indépendant)
Malek Kefif (Indépendant)
Document 2 : Brochure du Collectif du 18 octobre
Préface :
Le cahier que vous avez entre les mains regroupe les deux textes adoptés jusqu’ici par le « collectif les droits et les libertés » à l’issue des débats et des discussions organisées sous l’égide du « Forum du 18 Octobre ». Ces textes, rédigés en arabe et traduits en français et en anglais ont porté sur « l’égalité entre les hommes et les femmes » (égalité de genre) et sur « la liberté de conscience ». Le « collectif du 18 Octobre » a pris, certes tardivement, cette initiative en raison de l’importance et la portée de ces deux textes dans la mesure où leur élaboration et leur adoption au terme d’un débat difficile mais fructueux, constitue un événement rare dans le monde arabe et musulman.
C’est en effet la première fois que des islamistes et des partisans de la sécularisation de l’Etat décident de débattre ensemble de questions qui engagent l’avenir en dépassant les crispations, les sectarismes et les surenchères idéologiques qui ont entravé tant d’autres projets initialement destinés a renforcer la liberté et la démocratie. L’âpreté des débats suscités-particulièrement sur les sites Internet- par la publication de ces deux textes est de nature probablement à en confirmer l’importance même si certaines réactions ont été excessivement agressives ou polémiques à l’égard du « Collectif du 18 Octobre ». Nous déplorons ces dérapages mais nous pensons que les réactions suscitées sont normales et qu’elles constituent, à terme, par delà l’outrance et les anathèmes, une source d’enrichissement. Des initiatives à portée historique ne sauraient en effet voir le jour et se développer en silence car elles ont vocation à faire réagir beaucoup de ceux, individus ou groupes, qui refusent tout changement visant à déplacer les lignes et à prendre en compte les aspirations de la société à s’adapter aux mutations de notre époque tout autant que son besoin de connaitre une expérience démocratique novatrice qui garantisse les conditions d’un vivre ensemble harmonieux. Un autre indice de l’intérêt suscité par ces deux textes est illustré par l’importance des réactions positives, au Machrek et au Maghreb Arabe ainsi qu’en Europe qui en ont suivi la publication.
Des instances associatives et institutionnelles ont ainsi pris l’initiative de chercher à s’informer sur la réalité de ce dialogue entre islamiste, sécularistes et laics afin d’essayer d’en saisir le sens et la portée. Il est vrai que nombreuses sont les forces politiques dans le monde arabe qui sont désireuses de promouvoir des débats de ce type mais il leur a fallu faire, au terme d’efforts constants sur plusieurs années, le constat d’échec de ces tentatives en raison de l’impossibilité des protagonistes des différents bords à dépasser la vigueur de leurs antagonismes.
Il n’est pas doute pas inutile, sur ce plan, de signaler que plusieurs membres du « Collectif du 18 Octobre » ont participé, soit en tant que internationales au cours desquelles ils ont eu à évoquer l’expérience du « Collectif du 18 Octobre » et le débat politique et d’idées qui y a été organisé.
Citons, à titre d’exemple, la rencontre organisée au Caire par le Centre d’Etudes des Droits de l’Homme en Mai 2007 sur « les expériences du changement dans le monde arabe », une partie des débats ayant tourné autour de l’expérience du « 18 Octobre ». Il y a eu aussi à Casablanca le colloque organisé en marge du Sommet Arabe en 2006 ou le débat d’une délégation non gouvernementale tunisienne avec le groupe socialiste du Parlement Européen à Strasbourg en Septembre 2006 qui a longuement évoqué les réalités et les conditions du dialogue entre laïcs et islamistes.
A l’occasion de l’édition de ce cahier reprenant ces deux textes du « Collectif du 18 Octobre », et compte tenu de l’écho qu’ils ont suscité, il nous a paru utile d’apporter les précisions suivantes :
Le « Collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés » a annoncé au moment même de sa constitution, et contrairement à ce que prétendent certains détracteurs avec évidente mauvaise foi, que son action se déploierait autour de deux axes fondamentaux, celui de l’intervention militante et de terrain et celui du débat entre toutes ses composants constitutives. C’est dans ces conditions qu’a été mis en place en Novembre 2005. « le Forum du 18 Octobre » chargé d’organiser le débat sur les questions suscitant des divergences entre les principaux protagonistes de la scène politique tunisienne. Quatre thèmes ont été ainsi mis en relief et qualifiés de « zones grises » nécessitant l’ouverture de débats approfondis. Toutes les composants du « collectif du 18 Octobre » y compris les islamistes, ont été d’accord sur ce forum et sur ces thèmes. En annonçant la création du « collectif » et du « Forum » et en lançant ces débats, les initiateurs du collectif ont donné un coup d’arrêt décisif à la politique d’exclusion du champ politique de toute tendance islamiste érigée par certains en règle intangible durant plusieurs décades.
C’est débats n’ont par ailleurs pas été conçus, dés le départ, comme des confrontations théoriques et abstraites relatives à des dogmes et visant à imposer à l’un ou à plusieurs des protagonistes qu’ils renient leurs convictions à la suite d’une sorte de harcèlement de certains à l’égard de telle ou telle autre composante. En réalité, l’idée même d’un débat national axé sur les perspectives d’avenir exclut tout recours à l’intimidation ou au harcèlement dans la mesure où un tel débat tire sa force ,dans son principe même , de l’idée de partenariat inclusif entre toutes celle et tous ceux qui qu’acceptent mutuellement comme des partenaires issus d’une même nation et engagés loyalement dans la recherche de formes d’action commune sur la base d’un consensus appelé à être élargi sans que les concessions mutuelles que cela implique ne dévalorise l’un ou l’autre des partenaires. Le débat sur cette base est, de ce fait, un débat politique au sens plein du terme et les questions débattre concernant fondamentalement le rôle et la fonction de l’Etat, les systèmes de pouvoir et les positions communes sur des questions qui pourraient paraître théoriques mais qui sont au cœur des débats sur l’Etat, des enjeux sociétaux et de la nature ses systèmes de pouvoir en confrontation. En finir avec les discours généraux et exclusivement à connotation idéologiques pour prendre à bras le corps les sujets de divergence de la façon la plus concrète possible en essayant d’élargir les possibilités de consensus, n’est en rien dévalorisant pour les parties concernées. Bien au contraire.
C’est cette conviction et l’approche adoptée ensemble par toutes les composants constitutives du « collectif du 18 Octobre » qui ont permis de parvenir à des textes communs, à un bien des égards historiques, sur des questions sensibles. A partir de ces débats qui doivent se poursuivre et des résultats obtenus et ceux escomptés, il sera possible de dégager un certain nombre de normes et de principes communs qui préparent le terrain à l’adoption d’un Code de conduite citoyenne.
L’accord intervenu sur les deux textes relatifs à « l’égalité des genres »(des sexes) et à « la liberté de conscience » apporte un démenti à l’idée d’ « harcèlement intellectuel » avancé par certains , car ces deux textes illustrent que les efforts de compromis ont été mutuels entre les parties participantes avec pour souci de parvenir à dégager un certain nombre de normes et de principes à vocation universelle et qui soient compatibles avec les spécificités culturelles et de civilisation de nos sociétés arabes et/ou musulmanes.
Le débat et les discussions engagés avec succès jusqu’ici par le « collectif » ne l’ont pas empêché de remplir le rôle politique qu’il s’était fixé. Il a ainsi organisé des conférences politiques qui ont contribué à aider le « collectif »à avancer dans le débat d’idées amorcé mais surtout il a pris des initiatives de terrain au niveau national et régional à l’intérieur du pays, tout comme il a participé avec d’autres forces à des rassemblements politiques. On ne saurait pas cependant exiger du « collectif » plus que ce dont il pourrait être capable en faisant délibérément abstraction de la campagne de harcèlement et d’interdiction dont il a fait l’objet. Les conclusions qui pourraient être tirées, dans ces conditions, de ce constat ne pourraient être qu’erronées. Ce n’est pas le lieu ici d’énumérer tous les interdits et toutes les tracasseries auxquels « le collectif » est en butte depuis deux ans. Rappeler cela est nécessaire mais cela ne saurait toutefois escamoter notre part de responsabilité et nos carences que nous sommes décidés à tenter de dépasser à l’avenir.
Selon notre agenda du débat d’idées fixé dès la création du « collectif du 18 Octobre », il nous reste deux autres axes de discussions : « les relations entre la religion et l’Etat » et « la question des châtiments corporels ». le « collectif » espère parvenir à des résultats satisfaisants sur ces deux thèmes dans les meilleurs délais. Nous espérons démentir ainsi les spéculations de nos détracteurs parmi ceux qui se réclament de certaines conceptions religieuses radicales et qui ont fait la preuve de leur refus à priori de toute forme de dialogue et de débats tant leur volonté est inébranlable d’imposer des conceptions immuables se situant hors de l’histoire du temps et bannissant toute tentative de prendre en compte les nécessités et les exigences de la modernité. Dans le même temps le « collectif » a l’espoir de faire la preuve du caractère non fondé des positions soutenus par les éléments éradicateurs qu’ils soient au pouvoir ou qu’ils se réclament d’une opposition qui voudrait justifier, ouvertement dans certains cas et implicitement dans d’autres, les choix exclusivement sécuritaires et la répression imposés à l’ensemble des composants de la société au nom de la lutte contre le péril islamiste. Cela impliquerait –selon eux- que l’on ne distingue pas entre un islamiste modéré et un islamiste radical, insistant sir l’allégation selon laquelle les concessions faites par les islamistes ne sont que d’ordre tactique et qu’elles procèdent du double langage qui est rendu licite par la pratique de la Taqia.
Il nous faut dépasser ces deux démarches totalement antagoniques dont les retombées se conjuguent pour bloquer toute possibilité de faire bouger les lignes et pour prendre des initiatives visant à provoquer un véritable débat politique. Et le « collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés en Tunisie » parie sur la nécessité et le bien fondé de ce dialogue pour pouvoir élargir le combat pour les droits et les libertés et pour faire face à toutes les formes de répression que l’Etat impose aux citoyens depuis 50 ans mais plus particulièrement au cours de deux dernières décennies.
C’est ainsi que nous pensons contribuer, par l’action politique pacifique, à dégager la voie pour un avenir meilleur à nos enfants. L’objectif immédiat est de nous doter d’une plateforme s’appuyant sur les normes et les principes minimums communs à partir desquels nous pourrions définir les conditions d’un vivre ensemble incitateur et stimulant que nous pourrions, ensemble, apporter notre contribution à la réussite du processus de transition de la dictature à la démocratie.
Tunis, Le 23 Novembre 2007
Déclaration sur les droits des Femmes et l’Egalité de Genres
- La femme tunisienne a enregistré des acquis importants dans la voie de son émancipation en tant qu’être humain et pour ce qui est de la participation sur un pied d’égalité avec les hommes dans les divers domaines de la vie en société. Ces acquis sont le fruit du mouvement réformateur amorcé sous l’égide de grands penseurs et d’hommes politiques qui ont eu l’honneur de défendre le droit des femmes à l’enseignement et leur volonté à se libérer progressivement des contraintes qui entravent leur émancipation. C’est aussi le fruit de longues luttes menées notamment par de nombreuses femmes d’horizons de pensée divers qui ont contribué, tout au long du siècle écoulé, à briser les chaînes de la soumission des femmes et à favoriser leur entrée et leur participation dans la vie publique.
- Au premier rang de ces acquis, il y a des dispositions du Code du Statut Personnel (CSP) qui garantit aux femmes des droits essentiels et un certain nombre de réformes qui ont contribués à limiter les discriminations et les exclusions auxquelles elles étaient confrontées, atténuant par la même certaines causes de tension dans les relations familiales. C’est ainsi que le CSP a interdit la polygamie et a imposé le libre consentement comme condition préalable au contrat de mariage. De même que ce code a considéré que la femme pouvait se marier sans la tutelle de quiconque et qu’il a fixé un âge minimum au mariage, mettant ainsi un terme au mariage des adolescents mineures. Le CSP a, par ailleurs, garanti les conditions d’une égalité entre l’homme et la femme dans les domaines essentiels, soumettant la procédure du divorce à l’autorité du juge : Il a, enfin, favorisé une plus grande participation de la femme aux affaires de la famille et il a élargi les possibilités d’accès à la nationalité tunisienne des enfants nés d’une mère tunisienne et un père étranger.
- Dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, le droit positif tunisien a mis en œuvre le principe de l’égalité entre les garçons et les filles pour ce qui est du droit de l’enseignement et son caractère obligatoire, ouvrant la voie à une atténuation progressive des discriminations en matière d’accès à l’enseignement. Les différences des taux de scolarisation selon le sexe se sont ainsi atténuées, favorisant une amélioration de l’image de la femme aux yeux des plus jeunes.
- Au niveau de la situation du droit du travail, la législation tunisienne a établi une égalité de principe entre les hommes et les femmes quant au droit au travail et pour ce qui est des salaires, de la couverture sociale et de la protection sanitaire, donnant à la femme enceinte ou en période d’allaitement des droits qui préservent sa santé et sa maternité. Tout comme la législation a établi le principe d’égalité quant au droit et aux modalités de bénéfice de la retraite ainsi qu’au niveau des chances de promotion et des garanties en cas de licenciement. Les lois tunisiennes du travail et de protection sociale se sont ainsi confrontées à la majorité des conventions internationales de l’OIT auxquelles la Tunisie a souscrit. Le monde du travail s’est ouvert aux femmes qui ont accédé progressivement à tous les domaines des activités économiques et sociales, marquant leur présence à tous les niveaux et dans tous les corps de métier où elles ont souvent fait preuve d’une compétence ce qui a contribué, de façon décisive, à faire évoluer les mentalités et à les débarrasser des préjugés traditionnels et archaïques qui ont longtemps servi à justifier le statut inférieur des femmes et le mépris à leur égard.
- Dans le domaine des droits civils et politiques, les dispositions constitutionnelles et législatives ont contribué à une plus grande égalité entre les genres (hommes/femmes), consacrant la capacité des femmes à établir et à signer des contrats, et à ester en justice au niveau de toutes les procédures judiciaires. La personnalité financière leur a été accordée et elles ont bénéficié du droit de vote été de l’éligibilité aux différents niveaux de responsabilité. L’exercice de la liberté légale de déplacement. L’exercice de la liberté légale de déplacement et de voyage leur a été garanti, tout comme la possibilité d’assumer des charges parlementaires et ministérielles, consacrant leur participation croissante dans la vie associative, dans celles des parties et des différentes institutions politiques.
- Le « collectif du 18 novembre pour les droits et les libertés » réaffirme son adhésion à tous ces acquis qui sont le résultat d’une approche réformatrice et novatrice fondée sur « l’ijtihad » (l’effort de réflexion personnel). Ces acquis sont en pleines conformité avec les dispositions des conventions internationales relatives aux droits de la femme et ils ont contribué à permettre aux femmes d’assumer leur humanité et de se débarrasser des chaînes culturelles et sociales héritées des siècles de décadence. C’est ainsi que la moitié de la société s’est émancipé et que celle-ci a pu faire le choix de la modernité sans renier les fondements de son identité spécifique et de son ancrage culturel et de civilisation.
- Le collectif du 18 Octobre réitère avec force sa détermination à préserver et à défendre tous ces acquis face à toute tentative visant à les remettre en cause. Ce faisant, le collectif est décidé à poursuivre, avec persévérance et dans un esprit de concorde nationale, le dialogue sur les questions au sujet desquelles les différences de points de vue ou les divergences n’ont pas permis de parvenir à un consensus telle la question de l’égalité dans l’héritage ou l’attitude à l’égard de certaines réserves émises par l’Etat tunisien lors de la signature et de la ratification des conventions internationales relatives aux droits de la femme. En dépit des avancées enregistrées, la situation des femmes exige toutefois encore des efforts pour en faire évoluer et améliorer les acquis sur le plan législatif mais surtout au niveau de la mise en œuvre dans la perspective de la réalisation de l’égalité complète entre les hommes et les femmes et de la cessation de toute discrimination, entre les citoyens, fondée sur le sexe.
- Dans le domaine du statut personnel, le souci de préserver la famille et son rôle dans la société doit inciter à approfondir les débats sur la question de l’égalité des droits et des devoirs entre les époux en considérant que la relation conjugale se fonde sur un partenariat et une complémentarité dans la conduite des affaires de la famille, la protection des enfants, le choix du domicile conjugal et l’attribution de la nationalité aux enfants issus du couple. Pour la femme. Tout comme il était nécessaire de relever à 18 ans, pour les femmes, l’âge minimum du mariage pour le faire coïncider avec l’âge de sortie de l’enfance et de la première adolescence.
- S’agissant de l’enseignement, et en dépit de l’importance des pas franchis, l’analphabétisme demeure cependant préoccupant au niveau de la population féminine, le taux d’analphabétisme chez les femmes étant supérieur à celui prévalant chez les hommes. De même que sur le plan du travail, l’égalité proclamée dans les textes n’a pas permis d’éliminer les discriminations encore flagrantes dans le vécu quotidien des femmes, le phénomène du chômage constituant un sujet de préoccupation majeure puisque des femmes ne sont pas considérées comme faisant partie de la population active. Les femmes occupent, de surcroit, souvent les fonctions et les métiers les plus précaires et elles sont exposées plus que la moyenne des salariés à l’instabilité de l’emploi au licenciement, les tâches les moins qualifiées et les plus subalternes étant confiées aux femmes. L’égalité des salaires proclamée est loin d’être réalisée puisque, selon les dernières statistiques officielles disponibles, la moyenne salariale chez les femmes est inférieure de 14% à celle des hommes, atteignant même le taux de 18% dans le secteur privé. Les femmes salariées sont confrontées à diverses formes de discrimination en raison du rang inférieur où elles sont reléguées, et cela affecte particulièrement des aspects essentiels de leurs vie en particulier le mariage, la grossesse et l’allaitement. Assujetties à un double travail salarial et domestique, les femmes qui travaillent hors de leurs foyers, ne disposent pas d’assez d’infrastructures d’accueil, pourtant prévus par les engagements des entreprises et des institutions, telles les crèches les garderies et les structures d’aide à la protection de l’enfance.
A côté de cela, il convient de mettre l’accent sur l’inquiétant accroissement des manifestations de violences à l’égard des femmes aussi bien au niveau conjugal que dans la vie sociale ; ce phénomène se conjuguant avec la multiplication des actes de harcèlement moral et sexuel ainsi que des situations d’exploitation et de commerce des femmes à des fins sexuelles. Sur le plan politique, enfin, les femmes sont exposées tout autant, sinon davantage, que les hommes au non-respect de leurs droits et de leurs libertés fondamentales. Les femmes sont cependant plus pénalisées dans la mesure où leurs responsabilités familiales et les conceptions traditionnelles fondées sur le statut inférieur dans le quel elles sont maintenues, les exposent de façon plus marquées aux discriminations. Cela se traduit par la faible présence féminine dans les institutions dites représentatives et dans les institutions exécutives locales, régionales, et nationales ainsi qu’à l’inférieur des organisations professionnelles, des instances culturelles et des partis politiques.
Si le « collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés » tient à réaffirmer, à toute occasion, son attachement aux acquis enregistrés, il n’en demeure pas moins déterminé à contribuer à battre en brèche toutes les manifestations de discrimination à l’égard des femmes que ce soit à l’intérieur de la famille ou dans la vie publique. Les mouvements politiques, les composants de la société civile et la population toute entière sont interpellés et concernés par cet enjeu essentiel. Les efforts d’évolution et d’amélioration doivent être renforcés dans l’esprit d’une interaction et d’une dynamique entre, d’une part, les référents fondamentaux de l’identité arabe et musulmane de notre société, et d’autres part, les acquis de l’humanité au cours de la période contemporaine moderne. C’est cette interaction qui contribuera à mieux cadrer la mise en œuvre de la réalisation progressive de l’égalité complète des genres, tout particulièrement autour des objectifs suivants :
- L’inscription explicite de la référence à l’égalité des genres entre hommes et femmes dans le texte de la Constitution ainsi que dans les divers textes de lois concernés. Ces textes devront être débarrassés de toute disposition ambiguë qui devra faire l’objet de clarifications et d’amendements parallèlement à l’abrogation de toutes les dispositions législatives consacrant le statut inférieur de la femme et les discriminations à son égard. C’est sur cette base que doit être envisagée l’évolution menant à une égalité entière afin d’assurer aux femmes l’effective d’une participation la plus large possible dans la vie publique avec la possibilité de pouvoir assumer toutes les charges, sans exception, auxquelles elles aspirent en fonction de leurs compétences et de leurs talents.
- Mettre en place des dispositions législatives et des mécanismes judiciaires pour punir les auteurs des discriminations contre les femmes et permettre à toutes les associations et à toutes les organisations concernées d’ester en justice aux côtés des victimes de ces discriminations. Y abroger la circulaire 108 dans la mesure où il s’agit d’un texte administratif procédant d’un abus de pouvoir qui expose les femmes voilées à l’arbitraire et à la privation de l’exercice de leurs droits. La question du voile concerne en premier lieu le liberté de choix personnel qui ne peut faire l’objet d’aucune ingérence, pour l’interdire ou pour l’imposer fondée sur la coercition, la contrainte ou la répression.
- Faire évoluer les mentalités, réformer et donner à l’école les moyens de jouer le rôle qui doit être le sien dans cette mutation qui, par delà les discours, se vit et évolue dans un sens ou dans l’autre, au quotidien. De même qu’il faut insister, en plus de l’Ecole, sur le rôle important des médias (presse écrite et audiovisuelle) dans l’émergence d’une nouvelle forme culture fondée sur le rejet de toutes les formes de discrimination contre les femmes et sur la consolidation d’un environnement favorable au développement de relations plus complémentaires et plus solidaires au sein de la famille.
- Renforcer la protection sanitaire des femmes et réduire de façon équitable l’écart entre le secteur public et le secteur privé en matière de congé de maternité et envisager la mise en place d’un congé prénatal. Appuyer toutes les initiatives et toutes les mesures visant à réduire les écarts entre les hommes et les femmes dans tous les domaines.
- Promouvoir et mettre en place effectivement des conditions de l’instauration et du respect des libertés individuelles et publiques, sur la base d’une mobilisation de l’ensemble des composants de la société pour la mise en œuvre d’une réforme sociale répondant aux aspirations du plus grand nombre tout en viellant avec vigilance à l’intégration transversale de la dimension « genre » dans tous les programmes de réforme et en luttant, dans le même temps, contre l’instrumentalisation à des fins de propagande, de la cause des femmes par le pouvoir, son parti et ses organisations satellites.
Tunis le 08 mars 2007
Déclaration sur la liberté d’opinion et de conscience
Le « collectif du 18 Octobre » a lancé, dans le cadre de son « forum du 18 Octobre », un débat sur la liberté d’opinion et de conscience amorcé par une conférence publique sur ce thème, dont des comptes rendus ont été publiés dans la presse d’opposition et sur l’Internet, et qui s’est échelonné sur plusieurs semaines. L’occasion a ainsi été donnée à des figures de certains paris de l’opposition de présenter des contributions exprimant leurs conceptions et leurs approches sur cette importante question. Des intellectuels d’horizons divers, des représentants des composants autonomes de la société civile et des personnalités nationales ont participé à ce débat public qui s’est caractérisé par la diversité, la pluralité et la richesse des points de vue qui s’y sont exprimés, abordant un certain nombre de thèmes relatifs notamment à la question de l’apostasie et à la référence qui garantissent l’exercice de cette liberté.
Les participants du débat ont été unanimes à considérer, qu’en dépit des avancées réalisées, en ce domaine dans les sociétés arabes et musulmans, un certain nombre de pesanteurs et de distorsions continue à peser sur les législations en vigueur et sur les pratiques régissant, en la matière, les relations entre l’Etat et les citoyens.
Malgré la diversité, voire les oppositions, entre les références conceptuelles et idéologiques des participants à ce débat et, dans certains cas, la pluralité des approches et des lectures au sein d’un même courant de pensée, les discussions qui se sont déroulées durant trois mois (dans un contexte difficile de harcèlement et d’encerclement sécuritaires) ont toutefois permis aux personnalités et aux partis constitutifs du « collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés », de dégager des éléments de consensus autour des valeurs et des normes suivants :
La liberté de conscience –qui procède d’un choix individuel- doit être garantie à toutes les citoyennes et à tous les citoyens. Elle ne peut faire l’objet de contraintes et elle implique le droit d’adopter ou non une religion et d’affirmer les convictions de son choix ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, par l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. La liberté de manifester ou ses convictions ne peut être assujettie qu’aux seules restrictions prévus par la loi pour protéger l’ordre public ou les droits fondamentaux d’autrui. Ces restrictions ne doivent pas remettre en cause l’effectivité de l’exercice de cette liberté fondamentale, l’Etat s’engagent à respecter la liberté d’opinion et de conscience que la loi doit garantir et que les instances judiciaires ont pour mission de préserver de toute atteinte.
Il est nécessaire de bannir entre les citoyens, égaux en droits et en devoirs, toute forme de discrimination fondée sur l’appartenance religieuse ou les convictions, dans la mesure où l’accès et l’exercice de la citoyenneté impliquent l’égalité pleine et entière entre tous les membres de la société.
Les dispositions des conventions internationales relatives à la liberté des convictions et de conscience, particulièrement celles de la « Déclaration Universelle des Droits de L’Homme » du 10 décembre 1948, le « Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques du 16 décembre 1966 et la Déclaration des Nations Unies du 25 Novembre 1981 sur « l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction », doivent être respectées. Cette référence aux Conventions Internationales tire sa force de la conviction que la liberté de conscience a pour patrie l’ensemble de l’humanité et que l’universalité des Droits de L’Homme se fonde sur l’acquis des expériences enrichissantes et du savoir-faire de l’humanité toute entière ; l’universalité n’étant pas synonyme d’uniformisation mais nécessitant, bien au contraire, la prise en compte et le respect de la diversité.
La sauvegarde de la liberté de conscience et sa protection dans notre pays n’est nullement contradictoire avec la place et le poids de l’Islam dans la formation de la personnalité spécifique du peuple tunisien en termes de culture et de civilisation. La mise en œuvre de l’universalité des Droits Humains et des dispositions des Conventions Internationales relative à la liberté des convictions et de conscience implique, de ce fait, une interaction créatrice avec l’acquis culturel arabe et musulman du peuple tunisien. Cette interaction est l’un des facteurs incitatifs dans le processus de réforme de la société pour en favoriser l’évolution dans le sens d’une modernité qui se fonde sur les valeurs de la liberté et le rejet de toutes formes de tutelle et de coercition. C’est sur cette base que le « collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés » s’engage à défendre la liberté de conviction et de conscience contre toutes les atteintes (quels qu’en soient les raisons et les auteurs) auxquelles son exercice effectif pourrait être confronté dans la mesure où cette liberté fondamentale est partie intégrante de la liberté d’expression et d’opinion. Préalable à la mise en œuvre de toutes les autres libertés, la liberté d’expression et d’opinion est, en effet, la pierre angulaire de tout projet de société démocratique et moderniste et l’une conditions cardinales de l’accès à la citoyenneté et de son exercice effectif.
Le Comité du 18 Octobre
Après deux années de travail en commun et à la suite des évaluations successives faites par « le collectif du 18 Octobre pour les droits et les libertés » ainsi que par référence aux citoyens et aux conférences organisées par le « collectif », l’assemblé plénière-réunie le 23-11-2007 –a décidé, dans la perspective des futures et importants échéances électorales que doit connaître le pays, d’ajouter aux trois objectifs revendicatifs initiaux du « collectif » ( et qui ont fait l’objet d’exploitations appropriées dans la Déclaration initiale du « collectif » ; trois autres thèmes complémentaires.
Les six axes de références du « C18-10 » seront donc désormais :
Cette lutte doit notamment prendre en compte les appels pour l’indépendance du judiciaire qui font, aujourd’hui, l’unanimité des composants autonomes de la société civile et des forces politiques indépendantes. Cette volonté de respect de l’indépendance de la justice a été courageusement défendue par des magistrats libres et leurs instances représentatives légitimes en écho aux actions entreprises par les avocats pour équitable dans toutes les procédures judiciaires quelle que soit la nature des juridictions concernées.
Cette lutte constitue, en l’état actuel du développement de ce fléau, un devoir national en raison de ses conséquences aussi bien sur le plan des intérêts nationaux qu’aux niveaux économique et social avec son cortège d’injustice notamment à l’égard des couches populaires de la population. Le monopole exercé par l’Etat sur l’information et les difficultés qui en découlent pour aborder les dossiers sensibles relatifs à la gouvernance des institutions étatiques et des entreprises publiques, se conjuguent au monopole exerce sur la justice et son instrumentalisation, surtout pour les dossiers sensibles en matière de corruption administrative et financière la lutte contre ce fléau n’en est, dès lors, que impérative.
Les importants échéances électorales future(2009-2010) relatives aussi bien aux scrutin présidentiel, que législatif et municipal, nous font enfin obligation de saisir ces échéances pour ; d’une part, mettre en relief les contradictions politiques entre les aspirations populaires et le pouvoir et ,d’autre part, pour poser la question essentielle des conditions indispensables pour des élections réellement transparentes et impartiales, notamment au niveau des lois régissant ces consultations et du droit imprescriptible de candidature, qui ne saurait souffrir aucune exception, ainsi que de la mise en cause, à l’occasion de ces batailles politiques, des arguments alibis avancés, depuis l’indépendance et tout particulièrement depuis 20 ans, pour tenter de justifier l’hégémonie de l’Etat- parti et la dérive despotique et totalitaire du régime.
Document 3 : Textes du Collectif 18 octobre Pour les Droits&les Libertés en Tunisie à Paris
Il faut défendre la société – Plate-forme politique pour une action commune
– 1 –
Nous comprenons et soutenons la dynamique qui a commencé le 18 octobre 2005 comme une étape dans la succession des luttes menées par le peuple tunisien pour la justice et la liberté le long des décennies passées. De notre point de vue, elle se situe dans la continuité des combats démocratiques, sociaux, syndicaux, politiques et associatifs qu’ont engagés les mouvements des travailleurs, des étudiants et lycéens, des femmes, les prisonniers politiques et leurs familles, les chômeurs, les artistes et intellectuels, les organisations professionnelles (avocats, magistrats, journalistes…), les défenseurs des libertés et des droits humains, ainsi que les mouvements des populations migrantes et exilées.
Cette dynamique appartient, sans exclusive ni hiérarchie, à toutes les tunisiennes et tous les tunisiens qui, conscients du caractère nécessaire et inéluctable d’une rupture démocratique réelle, cherchent à en rassembler les conditions.
– 2 –
L’importance de l’initiative du 18 octobre 2005 réside, selon nous, dans le fait que des représentants de partis politiques d’orientations différentes, que des associations et des individus de diverses sensibilités se soient rassemblés autour du constat de la nécessité d’une rupture démocratique réelle avec la dictature. Qu’en conséquence, ils aient joint leurs moyens autour de revendications communes afin de contribuer à engager un rapport de force politique à même de réaliser cet objectif.
Elle réside dans l’ampleur du soutien et de l’écho qu’elle a suscité dans toutes les régions du pays ainsi que dans les pays d’émigration, aussi bien au sein des milieux politiques, syndicaux et associatifs qu’au-delà des sphères militantes.
Elle réside dans sa vocation affirmée à être large et fédératrice tout en s’efforçant de définir, outre ses trois revendications initiales, les principes et les règles de son action et des rapports politiques pour l’instauration desquels elle œuvre.
– 3 –
Les revendications portées par les grévistes de la faim du 18 octobre reprennent des exigences de mesures indispensables, qui font consensus au sein des forces opposées à la dictature.
La garantie de la liberté d’organisation et d’association
La garantie de la liberté d’expression et de la liberté de la presse
La libération des prisonniers politiques et la promulgation d’une loi d’amnistie générale
L’apport qualitatif nouveau de l’initiative du 18 octobre est la volonté d’aller au-delà de la dénonciation et de la protestation vers le rassemblement de la capacité politique effective d’imposer ces exigences.
Afin que cette capacité voie le jour, l’action doit se donner les moyens d’un enracinement populaire. Afin d’être crédible, elle doit exposer de manière transparente ses règles de fonctionnement et ses points de consensus.
– 4 –
Les revendications initiales avancées lors de la grève de la faim du 18 octobre* relèvent de la nécessité la plus pressante et sont d’une grande importance. Pour poursuivre la logique de cette initiative nous devons faire quelques pas de plus.
C’est pourquoi notre dynamique se donne pour tâche prioritaire d’impulser des actions et des débats partout où c’est possible afin de définir le cadre nécessaire à une convergence pour la résistance à la dictature et pour la défense des droits de la société.
Les objectifs suivants font d’ores et déjà partie selon nous des exigences minimales pour une sortie effective de la dictature, elles font l’objet d’un consensus parmi nous et se rajoutent aux trois premiers :
Le droit au retour des réfugiés politiques et des exilés
La lutte contre la corruption et la poursuite des personnes et entités impliquées
La garantie de l’indépendance de la justice et de la neutralité de l’administration
La garantie des droits de tous les détenus et l’exercice d’un contrôle effectif sur les conditions carcérales, le bannissement de toutes formes de torture et de mauvais traitements et la poursuite des responsables de tels actes
– 5 –
Outre les objectifs qu’elle s’assigne, une unité d’action politique a besoin d’assurer la cohésion et la confiance entre ses composantes. Celles-ci doivent adhérer de manière claire et explicite à un minimum de principes fondamentaux. Cela permet par ailleurs d’asseoir la crédibilité d’une convergence d’éléments aux orientations et aux programmes différents, parfois contradictoires.
Ce qui constitue un cadre à notre action est notre attachement à trois principes :
Le principe d’égalité / Egalité complète et effective de tous les citoyens sans discrimination ou préjudice sur la base de l’origine sociale, du sexe, de l’orientation intellectuelle ou existentielle
Principe d’indépendance / La souveraineté nationale du pays est indissociable de la liberté et de la dignité de ses citoyens ; le refus de toute subordination des choix du peuple à la volonté ou aux pressions d’une quelconque puissance étrangère est la condition d’une ouverture et d’une coopération juste avec le reste du monde. Plus largement, le refus de toute forme de domination coloniale, d’agression ou d’occupation, et l’affirmation du droit des peuples à l’autodétermination et à la résistance à l’occupation sont un pré-requis de tout discours et de toute prétention démocratiques.
Le principe du rejet de la violence comme moyen de résolution des différends politiques et idéologiques ; le refus de la violence d’Etat comme moyen de gestion des conflits sociaux et politiques ; la garantie de l’intégrité physique des personnes.
– 6 –
Près de 10% de la population tunisienne vit hors du territoire national. Les migrants et les réfugiés tunisiens, quelle que soit leur situation administrative ou socio-économique, contribuent pour une part importante à la vie du pays, ils en sont une partie intégrante. Leurs activités économiques participent de la richesse nationale et leurs expressions politiques et culturelles sont des éléments à part entière de l’évolution politique et culturelle de la Tunisie.
Il doit donc être admis que la contribution des tunisiens migrants et réfugiés au processus d’émancipation de la société tunisienne ne relève pas uniquement du soutien et de la solidarité mais de la participation pleine et entière, avec ce que cela suppose de droits et de devoirs.
Il doit également être admis que les souffrances que vivent les migrants et les réfugiés (parcours tragiques des migrants clandestins qui fuient la misère et qui affrontent toutes sortes de dangers et de persécutions policières ; situation de ceux qui installés à l’étranger sont en butte aux discriminations et luttent pour leurs droits ; exil forcé des réfugiés politiques et le préjudice collectif fait à leurs familles) font pleinement partie du drame tunisien, et qu’aucun processus d’émancipation ne peut en faire abstraction.
– 7 –
Ce qui nous rassemble donc aujourd’hui est notre volonté d’être à la hauteur d’une conscience largement partagée par les tunisiennes et les tunisiens. Celle du caractère devenu insupportable de l’ordre en vigueur dans le pays, du danger pour l’avenirque représente la perpétuation de la dictature et de la nécessité de rompre sans plus attendre avec elle.
L’objectif que nous nous assignons et pour lequel nous nous engageons à œuvrer est l’émergence de forces démocratiques et populaires à même de défendre les droits de la société, de résister à la dictature et de permettre son dépassement vers un avenir meilleur. Pourvu que cela puisse démentir définitivement la thèse qui affirme que l’aspiration démocratique est incompatible avec l’espace arabo-islamique duquel le peuple tunisien fait pleinement partie.
– 8 –
Ce avec quoi il s’agit de rompre, est un régime despotique dont les caractères —qui ne font que s’accentuer— sont :
Le monopole du pouvoir et la privatisation de ses institutions ; la confiscation du droit du peuple à déterminer ses choix politiques, économiques, sociaux et culturels et de décider des orientations qui conditionnent son avenir ; la négation du droit de chacun(e) à avoir accès aux conditions fondamentales d’une vie digne, à exprimer librement ses convictions politiques et intellectuelles, à s’organiser et à agir en conséquence ; le quadrillage policier de tous les espaces publics et privés et le recours à la répression, aux procès politiques, aux emprisonnements arbitraires, à l’agression et à la torture physique et morale comme instruments systématiques de gestion de la société ; la généralisation de rapports économiques basés sur le pillage, la corruption, la dilapidation des biens et des services publics et sur le bradage des pans les plus rentables de l’économie nationale.
– 9 –
Les représentants d’associations et de partis politiques, les individus soussignés déclarent par la présente, ce jeudi 2 février 2006, la fondation du Collectif du 18 octobre, un cadre permanent de travail et de coordination ouvert à toutes les tunisiennes et tous les tunisiens vivant hors du territoire national et souscrivant à la présente charte de principes. Cette instance se donne pour tâche l’organisation d’actions et de débats, ainsi que la communication et la coordination d’initiatives en rapport avec les objectifs définis ci avant.
L’instance décisionnelle quant aux orientations et au choix politiques est l’assemblée générale ouverte à tous les adhérents. Elle définit également les statuts et les règles de fonctionnement.
Notre rassemblement se situe dans le prolongement de l’initiative du 18 octobre 2005. Il entretient un rapport de partenariat privilégié avec le Collectif du 18 octobre en Tunisie, tout en restant autonome. Il vise à être partenaire de toutes les initiatives toutes les réalités politiques, sociales et culturelle en France et à l’étranger allant dans le sens des principes et des objectifs définis dans la présente plate-forme.
Premiers signataires de la Plate-forme (Ordre alphabétique)
(1)AbdelbakiFethi (Collectif des Familles et des Proches des Prisonniers Politiques)– (2)Abid Bachir – (3)AflougAdel – (4)Aïssaoui Zouhaier – (5)Amaïdi Mustafa – (6)Amri Ahmed – (7)Azouz Karim – (8)Balti Mohsen – (9)Bardi Hussein – (10)BejiAbdessattar– (11)BelhajFethi – (12)Ben Hiba Tarek – (13)Ben HmidaneSlim – (14)Ben Jilani Brahim – (15) Ben Saïd Mohammed – (16) Ben Salem Mohammed – (17) Ben SalemSeyf – (18)Ben Ticha Noureddine (Conseil National pour les Libertés en Tunisie)– (19)Ben Youssef Adnane – (20)BettaïebRiadh – (21)Bhar Mohammed – (22)Bouamaïed Fatma – (23)BouraouiJalel – (24)ChaariNajah – (25)Chebbi Mahdi – (26)Chebbi Mohsen – (27)DahmaniIyed (les Unionistes Nasséristes) – (28)Daïmi Imed – (29)Dhahri Bachir – (30)DoghriKaïs – (31)Fhal Kamel – (32)Guedouar Moncef – (33)GuenaouiAmmari – (34)HajlaouiRiadh – (35)HammamiAbdelwahhab – (36)Hammami Lotfi – (37)HamrouniChokri (Congrès Pour la République) – (38)Jaziri Hussein (Mouvement Ennahdha) – (39)Jendoubi Kamel (Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie)– (40)JilaniHedi (Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés) – (41)KhalfetMongi – (42)KhiariSadri – (43)KitarAbderrazzak – (44)KsilaKhemaïes – (45)Laabidi Tahar – (46)LamloumOlfa – (47)Mahjoubi Abdelkrim – (48)MakhloufiAfifa – (49) MakhloufiSofiene – (50)NaesFethi (Solidarité Tunisienne)– (51)RiahiKaïs – (52)SeddikOmeyya – (53)Tagaz Salah (Voix Libre)– (54)ThabetAdel (Parti Communistes des Ouvriers de Tunisie)– (55)Tlili Ali – (56)Trabelsi Rachid – (57)YahmedHedi
PRINCIPES GENERAUX D’ORGANISATION DU COLLECTIF 18 OCTOBRE DE PARIS
Le collectif 18 octobre de Paris est un cadre de lutte pour les libertés et les droits, un espace de réflexion et de débat sur les conditions d’une transition démocratique en Tunisie. Il rassemble des partis politiques, des associations et des personnalités indépendantes de tendances et de sensibilités diverses qui militent pour la liberté d’_expression et de la presse, la liberté d’association et d’organisation et pour la promulgation d’une loi d’amnistie générale et la libération de tous les prisonniers politiques et d’opinion.
Le collectif est un espace de convergence, il demeure ouvert à tou(te)s les militant(e)s et organisations politiques et associatives qui adhèrent à sa plateforme constituante. Il opte pour la transparence, la collégialité et la recherche du consensus dans son fonctionnement.
Le collectif 18 octobre de Paris a l’ambition de développer des relations de coordination et de complémentarité avec toutes les initiatives similaires partout dans l’immigration tunisienne, d’entretenir des rapports étroits de partenariat avec Le collectif 18 octobre pour les Droits et les Libertés en Tunisie ainsi qu’avec les comités régionaux.
L’Assemblée générale:
C’est le cadre souverain et le lieu privilégié de débat et d’engagement des militantes et militants. Elle dispose d’un véritable pouvoir de décision et d’orientation ; c’est donc à son niveau que sont élaborées et débattues démocratiquement les grandes lignes programmatiques et les initiatives d’envergure.
Cet espace est appelé à se réunir tous les trois mois et chaque fois que les circonstances l’exigent.
Le Comité de coordination :
C’est une structure issue de l’assemblée générale et composée de membres représentant les différentes tendances du Collectif. Son rôle est d’exécuter et de mettre en oeuvre les décisions prises par l’Assemblée Générale et donner corps aux orientations arrêtées par la dite A.G.
Cette instance qui dirige concrètement le Collectif est appelée à se renouveler tous les ans. Elle est aussi appelée à tenir et à en gérer la trésorerie du, mais aussi à assurer un minimum de secrétariat administratif (PV, comptes, listing, mails, site…).
Le comité de coordination peut également choisir parmi ses membres un coordinateur dont le rôle est d’organiser son travail et d’assurer le lien avec l’assemblée générale. Son mandat sera précisé et délimité par le comité de coordination.
Il prend aussi en charge l’animation de d’espace de débat en mettant en place des groupes de travail ouverts à tous les adhérents, pouvant comporter des personnes extérieures, pour organiser des débats autour des questions choisies en assemblée générale.
Le Financement :
Le budget du Collectif est composé de l’apport de ses membres, des partis et associations le constituant. Les individus participent par une cotisation minimale de 5 euros qui sera collectée lors de la tenue de chaque A.G. et selon sa périodicité. Le collectif accepte les dons de soutien dans la transparence et de la manière qui ne porte pas préjudice à son autonomie.
Membres du Comité de Coordination (Ordre alphabétique)
En tant que représentants de partis politiques
DahmaniIyed (les Unionistes Nasséristes) – HamrouniChokri (Congrés Pour la République) – Jaziri Hussein (Mouvement Ennahdha) – JilaniHedi (Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés) – ThabetAdel (Parti Communistes des Ouvriers de Tunisie)
En tant que représentants d’associations
AbdebakiFethi (Collectif des Familles et des Proches des Prisonniers Politiques) – Ben Ticha Noureddine (Conseil National pour les Libertés en Tunisie) – Jendoubi Kamel (Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie) – NaesFethi (Solidarité Tunisienne) – Tagaz Salah (Voix Libre)
En leur nom propre
Ben Hiba Tarek – Bouamaied Fatma – Hammami Lotfi – HeniAbdelwahhab – KsilaKhemaies – Laabidi Tahar – MakhloufiSofiene – SeddikOmeyya
Document 4 : A propos d’une dérive
L’opposition tunisienne vit une recomposition sans précédent dans son histoire récente. Une profonde division est en train de cliver le paysage démocratique après l’« alliance » – plus ou moins avouée-, contractée par une grande partie de l’opposition avec le courant islamiste d’An-Nahdha.
Sans obédience partisane, mais appartenant à la famille de la gauche démocratique tunisienne, et croyant en sa pérennité comme un ferment de la culture démocratique en Tunisie, les signataires de ce texte tiennent à s’exprimer sur ce remue-ménage qui agite la gauche et toutes celles et ceux qui se réclament de la démocratie et de la laïcité en Tunisie :
- Nous voulons, d’abord, réaffirmer que le cap d’une opposition ferme et sans ambiguïté à l’autoritarisme, à l’omnipotence du parti au pouvoir, à la privatisation rampante de l’Etat et à la corruption, doit être maintenu. C’est le seul choix pour redresser le pays, imposer le respect des droits humains, impulser une véritable démocratisation des institutions et engager la société tunisienne sur la voie de la justice sociale.
- La liberté d’expression, la liberté d’association, l’amnistie générale et la libération de tout(es) les détenu(es) politiques, cette triple revendication est, en effet, le socle indérogeable pour toute vie démocratique future dans le pays et pour l’émergence d’une citoyenneté tunisienne véritable. C’est le sens même du combat de notre peuple pour l’émancipation nationale que le bourguibisme et ses avatars ont confisqué depuis l’Indépendance.
- La citoyenneté c’est l’accès de toutes et de tous à tous les droits,pour reprendre le beau mot d’ordre de la LTDH. Toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens sans exclusives. La scène démocratique doit pouvoir accueillir toutes les sensibilités pour peu qu’elles acceptent la règle du jeu pluraliste et rejettent la violence et l’anathème. A cet égard, le mouvement islamiste an-Nahdha doit pouvoir jouir du droit à l’existence et à l’expression libre dans la légalité démocratique, au même titre que toutes les composantes de l’opposition non-reconnue ou à peine tolérée, et participer ainsi aux débats, à la confrontation d’idées, qui sont l’essence même de toute démocratie.
- Le débat démocratique est une chose, l’alliance à tout prix en est une autre.Nous ne sommes pas convaincu(es) que l’option du « Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés » (relayé par une structure homologue à Paris) soit opportune ni pertinente. Que le mouvement an-Nahdha dise se rallier à la règle de l’alternance pacifique et s’abstenir de toute violence, qui s’en plaindrait ? Mais, pour que ce mouvement ait sa place au sein de la famille démocratique, il faudrait qu’il renonce à son projet d’Etat islamique dont on connaît les redoutables conséquences pour la démocratie et les droits humains. Auquel cas, an-Nahdha ne serait plus vraiment un parti islamiste. Et cela se saurait.
Au moment même où il célèbre les « épousailles » avec « l’opposition sérieuse », le mouvement an-Nahdha, par la plume de ses figures les plus autorisées, continue à vouer aux gémonies tous les démocrates et tous les « ‘ilmaniyîn » [1] et à se vanter du recul de la si haïssable « ‘ilmaniya » face à la déferlante islamiste dans le monde musulman.
Au moment même où il annonce sa conversion à un fiqh du « juste milieu » (wasat), il ne rate pas une occasion pour réaffirmer la fidélité aux pères fondateurs du fondamentalisme dans sa version la plus obscure.
Au moment même où il déclare son ralliement au règlement pacifique des conflits politiques, le mouvement islamiste tunisien ne renie pas son soutien aux fauteurs de guerres civiles et aux assassins de démocrates dans le monde musulman.
Au moment même où il proclame soutenir la cause des femmes et consentir au Code du statut personnel[2], il continue de « promouvoir la minoration » des femmes et, à l’occasion, de prôner la polygamie sous d’autres cieux.
Bref, les islamistes tunisiens acceptent tout mais ne renoncent à rien. Il ne s’agit pas d’une tactique du double langage, comme certains le leur reprochent, mais d’une politique double qui assume les deux volets : le démocratisme de circonstance et la fidélité à l’identité intégriste de l’islam politique. Finement théorisée, cette politique est légitimée par « la nécessité » (dharoura) et par la « naturalisation » du despotisme assimilé aux catastrophes et aux famines. L’alliance contre-nature avec les « Ilmaniyin » apparaît ainsi pour ce qu’elle est : une démarche dérogatoire pour faire face à une situation d’exception. En dehors de cela, l’identité est sauve et le programme d’islamisation de l’Etat et de la société est intégralement maintenu.
- Que dire, dès lors, de la précipitation avec laquelle certaines formations politiques et associatives et certaines figures indépendantes connues pour leur attachement à la laïcité et à la démocratie ont signé ce qu’il faut bien appeler un manifeste d’alliance avec le mouvement de M. RachedGhannouchi ? Appelons cela un syndrome… de maux récents ou ataviques :
- Passons sur le pari géopolitique autour de desseins imaginés pour nous par des puissances « tutélaires » et où la donne de « l’islamisme modéré » est considérée comme incontournable. Certains membres des « collectifs » ne s’en cachent pas. Ce n’est pas une raison pour soupçonner les autres. En tout état de cause, nous n’avons pas à sonder les intentions des uns et des autres et encore moins à pointer le « recours aux puissances extérieures » comme certains ont pu fâcheusement l’insinuer.
- Sans doute faut-il rapporter cette impatience à une volonté « de faire bloc » face à l’irrédentisme et aux exactions continuelles du pouvoir. Là encore, malgré les embarras de certains de nos amis qui récusent le mot « alliance », la démarche est symptomatique d’un vieux travers de notre gauche : le goût de la politique sans les idées ; en l’occurrence, il serait de bonne politique de « faire nombre » quitte à gommer les frontières entre la vision séculière de la politique et le fanatisme, entre l’horizon universaliste et l’enfermement identitaire, entre la religion et la théocratie ; en un mot, entre démocratie et non-démocratie.
- Ces démocrates donnent ainsi l’impression d’être dans l’incapacité de développer un projet alternatif et à la politique autoritaire du régime et au projet totalitaire de l’islam politique : quand la peur de l’islam politiquel’emportait, certains se sont alignés derrière le pouvoir jusqu’à fermer les yeux sur sa politique répressive et ses violations inadmissibles des droits de la personne ; aujourd’hui, face à un pouvoir qui n’a rien compris, on tend la main aux islamistes.
- Peut-être faut-il y voir aussi les survivances d’autres mauvaises habitudes : la fébrilité, l’esprit de chicane et, pourquoi ne pas le reconnaître, la persistance d’une culture peu démocratique dans le traitement des divergences au sein de la gauche elle-même. Il est assez significatif d’entendre aujourd’hui les promesses péremptoires de débats de fond avec l’islamisme, alors que le même débat a été différé, sinon escamoté, au sein même de la gauche et de la mouvance démocratique.
- Ce qui est en cause, c’est peut-être la manière dont la gauche s’est convertie à la culture « démocratique » : le bricolage idéologique, l’occultation de la mémoire, Le mépris des intellectuels, considérés tout au plus comme des « idiots utiles », et plus généralement le divorce avec le monde de la culture… L’horizon du court terme toujours recommencé dans lequel la gauche se retrouve cantonnée, explique un peu l’alliance politicienne avec l’islam politique.
- Débattre avec les islamistes ? Certes oui. La gauche ne peut éternellement camper sur une posture défensive. Il s’agit de faire un sort à l’insupportable procès en éradication intenté à toutes et à tous les démocrates et repris par certains de nos amis qui n’hésitent plus à annexer le registre islamiste. On le sait, les premières défaites commencent par les mots.
Le débat oui, car l’islam n’est pas l’islamisme et l’instrumentalisation idéologique et politique de la foi doit être récusée.
Le débat frontal est non seulement souhaitable mais nécessaire afin de redonner du sens au choix démocratique, de renouer avec les idées et les projets de société constitutifs de tout engagement à gauche. Ainsi seulement, nous pourrons contribuer à féconder une culture démocratique qui fait tellement défaut à la société civile tunisienne.
Le débat que l’on nous promet n’est pas de ce type : il postule le consensus avant toute discussion et finalise le débat d’emblée en nous mettant sur les rails d’on ne sait quel « pacte démocratique » avec l’islam politique. Ce débat est si mal engagé qu’il commence par exclure les composantes « récalcitrantes » de la société civile, à commencer par le mouvement féministe. Tout se passe comme si le « dialogue » contractuel avec l’islamisme prime tout autre impératif : la défense de la société civile et de ses acquis universalistes et laïques et, au-delà de tout, l’unité, dans la diversité, du camp de la démocratie.
- Que l’on nous entende bien : de près ou de loin, nous avons partagé les rêves, l’aventure et jusqu’aux déboires de la gauche tunisienne. Notre exigence procède de cet attachement. Nos inquiétudes aussi.
Février 2006
Parmi les signataires
Hichem ABDESSAMAD, chercheur en sciences politiques
Hafedh AFFES, enseignant, militant associatif
Mohamed Hedi AFIF, enseignant
Najoua AGREBI, avocate
Naceur AJILI, syndicaliste
Ghassen AMAMI, étudiant
Nizar AMAMI, syndicaliste
Sami AOUADI, universitaire, syndicaliste
Saida AOUN, médecin, ATFD
Noureddine BAABOURA, juriste
Chedli BAAZAOUI, syndicaliste
Maher BACCOUCHE, Gérant d’entreprise
Nejib BACCOUCHI, doctorant en philosophie
Feyez BAFFOUN, étudiant, ACDR
Sami BARGAOUI, universitaire
Abdelmajid BARGOUTHI, poète
Chokri BELAÏD, avocat
Larbi BELARBI, Militant démocrate, Fédération des Finances de l’UGTT
Mirfet BELHAJ FEKIH, enseignante
Fathi BEL HAJ YAHIA, Professionnel de l’Enseignement privé
Souhayr BELHASSAN, Journaliste, LTDH
Rachid BELLALLOUNA, urbaniste
Sana BEN ACHOUR, professeur de droit public
Nabil BEN AZZOUZ, enseignant, ancien Directeur de la FTCR
Hachemi BEN FREJ, ingénieur
Mohamed BEN HENDA, Comité des Tunisiens en Suisse (CTS)
Jalloul BEN HMIDA, rédacteur en chef de N@ros, CRLDHT
Abdelatif BEN SALEM, traducteur
Nejib BEN TAZIRI, militant associatif
Hajer BOUDEN, universitaire
Jamel BOUSSOFFARA, militant progressiste
Mohamed BOUZID, Comité Tunisie en Suisse
Nadia CHAABANE, féministe, militante associative
Fethia CHAARI, membre de l’ATFD
Raouf CHABBI, universitaire
Raja CHAMEKH, réfugiée politique
Fatma CHERIF, assistante cinéma
Khedija CHERIF, universitaire, membre de l’ATFD
Tahar CHIKHAOUI, universitaire
HamadiRedissi, universitaire
SofièneChourabi, étudiant, actif au sein de RAID ATTAC Tunisie
Bilel DALI
Amira DEBBECHE, enseignante, ATFD
Sarra DOUDECH, ATFD
SafiaFarhat, militante droits des femmes/ droits humains – ATFD
ZeynebFarhat, professionnelle du spectacle
Jawhar FEKIH, militant associatif
Raja FENNICHE, universitaire
Mohamed Cherif FERJANI, professeur de sciences politiques
MradGadhoumi, militant associatif
Saïda GARRACH, avocate, ATFD
Omar GASMI, juriste
Bechir GHARBI, ATF 74
Ayoub GHEDAMSI, vice-président de l’UGET
Chedlia HAMMADI, éducatrice, militante associative
Sonia HAMZA, fonctionnaire
Mohamed Trabelsi, syndicaliste
Dhafrallah HBABOU, agriculteur
Mongia HEDFI, militante ATFD
Fathia HIZEM, enseignante
Habib JALOUALI, gérant d’entreprise
Hayet JAZZAR, avocate, ATFD
Jamel JLASSI, enseignant
Bakhta JMOUR, ATFD
Halima JOUINI, militante droits des femmes/ droits humains – ATFD
Ibtissem JOUINI, biologiste, ATFD
Hedia JRAD, ATFD
Souhaila KAMOUN, doctorante, ATFD
Anouar KANZARI, étudiant
Salem KHALIFA, Technicien de Bureau Étude
Habib KHEMIRI, avocat
Nizar KHLIF
Nadhem KHRIJI, membre du bureau de l’ATF
Latifa LAKHDAR, universitaire
Dalenda LARGUECHE, universitaire
Abdelhamid LARGUECHE, universitaire
Hamda MAAMER, membre de la LTDH
Safa-Eddinne MAATALLAH, militant démocrate
Insaf MACHTA, universitaire
Moncef MACHTA, universitaire
Rafiâa MACHTA, enseignante
Mohamed MANSAR, militant associatif
Souad MARZOUK, fonctionnaire
Rym M’HADHBI, ATFD
Faycel MHIMDI, étudiant Faouzi MKADEM, avocat
Najet MIZOUNI, universitaire
MoufidaMissaoui, étudiante, Allemagne
Farah MONTASSAR, avocat
Anis MSELLEM
Abdelaziz MZOUGHI, avocat
Ibrahim NSIRI, chercheur en communication Amel OMRI, étudiante
Fawzi OUERGHI, président du Cercle des Tunisiens des deux Rives (CTDR, Marseille)
Jaouhar OUESLATI, enseignant
Ramzi OUESLATI, formateur, membre du CRLDHT
Mahfoudh OUSSI, enseignant
Abdelaziz REBAI
Chahrazad REHAIEM, artiste peintre
Massaoud ROMDANI, LTDH
Jalel ROUISSI, universitaire
Mouldi SABRI, avocat
Anissa SAIDI, ATFD
YousraSeghir, universitaire
Sami SOUIHLI, médecin, syndicaliste
Mustafa TLILI, universitaire, militant des droits de l’Homme,
Najet TNANI, universitaire
Chedli ZAYDI, avocat
Houda ZEKRI, étudiante
Raja Ben Slama, universitaire
Bouraoui, ZEGHIDI, cadre de banque
Meriem ZEGHIDI, étudiante, militante de l’ATFD
Mounir ZEMNI, enseignant, militant associatif
Omri ZOUAOUI, UGET
[1] Vocable désignant dans le lexique islamiste les laïques et plus généralement tous ceux et toutes celles qui ne sont pas islamistes, y compris parfois les démocrates renonçant à la revendication laïque
[2] Produit de l’ijtihad et non du droit positif comme ils tiennent à le préciser.
Document 5 : Réponse de Nejib Chebbi aux critiques
Amorce d’un débat
J’ai cru déceler un véritable cri de détresse dans le texte collectif « à propos d’une dérive ». C’est pourquoi je m’empresse de répondre à ses auteurs, espérant pouvoir les rassurer et les inviter à examiner de plus près les choix qui s’offrent aujourd’hui à la gauche tunisienne.
Aussi vais-je relever au préalable notre accord sur l’essentiel, à savoir:
qu’une politique ferme face à l’autoritarisme est «le seul choix (laissé à la gauche) pour redresser le pays, imposer le respect des droits humains, impulser une véritable démocratisation des institutions et engager la société tunisienne sur la voie de la justice sociale »
- que la triple revendication (liberté d’association, liberté d’_expression et libération des prisonniers politiques) portée par le mouvement du 18 octobre constitue « le socle indérogeablepour toute vie démocratique future dans le pays et pour l’émergence d’une citoyenneté tunisienne véritable »
- que «La citoyenneté est l’accès de toutes et de tous à tous les droits » et qu’à cet égard «le mouvement islamiste an-Nahdha doit pouvoir jouir du droit à l’existence et à l’_expression libre dans la légalité démocratique, au même titre que toutes les composantes de l’opposition non reconnue, et participer ainsi aux débats, à la confrontation d’idées, qui sont l’essence même de toute démocratie ».
- et enfin que le débat avec les islamistes est « non seulement souhaitable mais nécessaire ».
A quoi se ramènent donc nos divergences. J’ose affirmer qu’elles se limitent à deux questions et à deux questions seulement.
La première concerne la « précipitation » que nous aurions mise à passer une alliance avec les islamistes. La seconde concerne, quant à elle, ce débat pernicieux avec les islamistes puisqu’il « postule le consensus avant toute discussion, (…) mettant (ses protagonistes) sur les rails d’on ne sait quel pacte démocratique ».
Ce sont là deux questions intimement liées, qui se conditionnent mutuellement et que nous tenterons d’examiner successivement.
Unité d’Action et Alliance
Nous n’allons pas nous quereller sur les mots. Convenons pour la clarté du débat qu’une unité d’action se distinguerait d’une alliance par l’étendue de son programme et sa durée dans le temps. Dans ce sens et parce que ses membres ont délibérément limité leur entente à trois revendications libérales de base et ont conditionné l’avenir de leurs rapports par l’issue d’un débat sur des questions hypothéquant l’avenir de la démocratie dans notre pays, le collectif du 18 Octobre constitue aujourd’hui une unité d’action qui écarte pour le moment toute entente sur un programme alternatif et relègue à l’avenir toutes les questions relatives à la transition démocratique ( réformes constitutionnelles, réformes législatives, d’élections libres, etc..).
Cette unité d’action est-elle prématurée ? Nos amis, auteurs du texte, semblent le penser mais le simple bon sens et les besoins les plus élémentaires de la lutte politique dans notre pays semblent indiquer le contraire.
Sur un plan de simple logique, il n’est point de doute que dans une dictature de type présidentialiste, tous les pouvoirs sont confondus entre les mains du chef de l’exécutif qui se soumet toutes les institutions au moyen des services de sécurité. Dans un tel régime la règle est de confisquer aux citoyens leurs libertés fondamentales et de les soumettre à toutes formes de pression. Dans une telle situation toutes les forces victimes de l’oppression ont intérêt à joindre leurs efforts pour recouvrer leurs droits. Leur éparpillement ne peut profiter, en toute vraisemblance, qu’au maintien du statu quo. Dans le cas de notre pays, l’ensemble des formations politiques souffrent de l’oppression et ont un intérêt évident à unir leurs efforts pour activer une libéralisation de la vie politique. Les islamistes parce qu’ils subissent à l’étape actuelle la plus forte pression sont intéressés, plus que d’autres, par l’établissement de telles alliances. Mais la gauche l’est-elle moins ? A elles seules, ses forces propres sont elles capables de provoquer, dans un temps prévisible, une libéralisation qui se fait attendre depuis plus de quinze ans ? Si tel n’est pas le cas que peut-elle craindre de joindre ses efforts à ceux d’autres tunisiens auxquels elle reconnaît le droit d’exister et de participer pacifiquement à la vie politique ? Le bon sens serait incapable de trouver une seule raison qui justifierait cette réticence. A moins que l’on craint, sans vouloir trop le reconnaître, que cette libéralisation ne profite à des adversaires idéologiques ou politiques et que l’on préfère s’en protéger à l’abri du statut quo! On ne saurait trop le soutenir sans piétiner ses propres credo démocratiques et tomber dans l’attitude éradicatrice dont on se défend avec la dernière énergie.
Sur un plan plus pragmatique, deux expériences récentes sont venues prouver, par la positive, que cette unité d’action répondait aux exigences de la lutte pour la liberté dans notre pays et qu’elle était, à ce titre, source d’une grande mobilisation. Je veux parler du sit in des avocats d’avril 2005 qui a réuni des avocats d’obédiences diverses (communistes, islamistes, nationalistes, libéraux et autres…) et qui en raison de cette unité, de cette diversité et de la justesse de la cause qui les a réunis (l’affaire Abbou) a pu mobiliser tout le corps des avocats et dans son sillage la magistrature elle-même.
La deuxième expérience est celle de la grève de la faim du mois d’octobre qui s’est distinguée par la même diversité et par une capacité de mobilisation encore inégalée. Des centaines de tunisiennes et de tunisiens, de toute obédience, de différents secteurs d’activité et de différentes régions du pays, ont défilé quotidiennement dans le local des grévistes pour leur apporter soutien et exprimer leurs attentes et leurs espoirs pour l’avenir du pays. Et les tunisiennes et les tunisiens ne se sont pas contentés de soutenir cette lutte, ils y ont pris part dans le cadre de comités formés à travers tout le pays et dans l’émigration.
L’espoir soulevé par le mouvement d’Octobre ne s’est pas limité aux seuls tunisiens, il a gagné leurs amis démocrates étrangers et soulevé une véritable vague de sympathie dans différents pays maghrébins, arabes, européens voire nord-américains. En témoignent la série d’articles parus dans la pesse internationale, les reportages diffusés dans les médias, les manifestations de soutien dans plus d’une capitale et les visites de délégations internationales aux grévistes eux-mêmes. Toutes ces forces ont loué la clarté des revendications, leur caractère judicieux, impérieux et unitaire. La délégation du Collectif du 18 Octobre qui s’est rendue en Europe au lendemain de la grève a pu mesurer l’enthousiasme et l’attente qu’a provoqué ce mouvement chez les forces rencontrées, Communistes, Socialistes, Verts, Trotskystes, Syndicalistes, Sénateurs, Députés de toute obédience. Aucun de ces partenaires n’a soulevé de réserve à propos de la participation des islamistes au mouvement. Toutes ont au contraire loué le caractère unitaire du mouvement qui a mis fin à l’éparpillement de l’opposition tunisienne qui donnait jusqu’alors « l’image d’une nébuleuse chaotique et rongée par les luttes intestines ». Tous ont souligné qu’ils comprenaient que l’union de tous était nécessaire pour l’émergence des conditions d’une compétition véritable. Le même espoir, la même attente exprimés par les tunisiens eux-mêmes !
La simple logique, donc, tout comme l’expérience pratique ne semblent pas plaider en faveur du caractère prématuré, voire périlleux de cette unité d’action mais attestent, au contraire, qu’elle constitue un impératif qui a par trop tardé à se manifester et qui est porteur d’un grand espoir démocratique dans notre pays.
Un débat avec les islamistes pourquoi ?
Nous n’avons abordé jusque-là la question de l’unité d’action avec les islamistes que sous l’angle des impératifs de la tactique politique, une tactique qui n’a rien de politicien mais qui répond aux besoins les plus impérieux de la lutte pour les libertés dans notre pays.
Nous allons envisager maintenant les rapports avec les islamistes d’un point de vue plus stratégique.
Les islamistes sont des tunisiens, nous en avons convenu, nous n’allons pas les jeter à la mer. Nous reconnaissons au contraire leur droit à la participation politique, voire leur droit éventuel à être portés au pouvoir par les urnes. Cela est déjà le cas en Turquie et en Palestine, cela pourrait être le cas au Maroc en 2007. Nous allons donc cohabiter avec eux et pour cela convenir avec eux des règles fondamentales de cette cohabitation, en clair des termes du pacte démocratique qui doit unir tous les tunisiens. Un pacte qui délimite les fondements intangibles de la société démocratique, dans le cadre desquels et dans les limites desquels se déroulera la compétition entre forces politiques rivales. La démocratie ne peut s’établir ni se stabiliser sans un consensus national sur son contenu. C’est ce consensus qui doit constituer le substrat du pacte démocratique d’aujourd’hui et de la constitution de le deuxième république de demain.
Le débat avec les islamistes doit avoir ce contenu prioritaire. Nous devons déployer tous nos efforts – et le cas échéant exercer toutes les pressions en notre pouvoir- pour parvenir à un accord qui fera que la démocratie ne soit pas un simple tremplin pour quelque forme de totalitarisme que ce soit. La démocratie moderne, celle que nous voulons, loin d’être une forme d’arbitraire populiste constitue au contraire l’exercice d’une souveraineté populaire limitée et encadrée par les droits inaliénables des individus et des minorités.
Sur la base d’un tel pacte et dans le cadre d’une telle constitution l’alternance entre équipes portant des programmes différents, reflétant des intérêts sociaux et des ancrages culturels différents, pourra se dérouler pacifiquement et périodiquement.
Les islamistes tunisiens sont-ils prêts à cette aventure ? C’est précisément là l’objet et l’objectif du débat. Il n’est pas nécessaire d’en anticiper les résultats mais tous les observateurs attestent d’une évolution favorable qui autorise l’espoir.
Est-ce renier ses convictions démocratiques ou de gauche que d’envisager les problèmes politiques d’un point de vue national, c’est-à-dire sous l’angle des intérêts globaux de la communauté nationale à laquelle appartiennent tout autant la gauche que la droite, les libéraux que les conservateurs ? Est-ce se renier que de tenir compte des impératifs de la transition démocratique et, d’un point de vue plus stratégique, de ceux de la stabilisation démocratique et de s’y atteler dès aujourd’hui ? Nous sommes nombreux à ne pas le penser et à croire au contraire.
Les rédacteurs du texte collectif pensent que l’unique rôle de la gauche (et du débat qu’elle devrait engager avec les islamistes) devrait consister à présenter un projet alternatif « et à la politique autoritaire du régime et au projet totalitaire de l’islam politique », que préconiser « un pacte démocratique avec les islamistes » c’est « gommer les différences » avec eux et « faire la politique sans les idées ». Ils soupçonnent ceux qui prônent cette politique de « parier » sur les desseins géopolitiques « imaginés pour nous par des puissances tutélaires où la donne de l’islamisme modéré est considérée comme incontournable ».
Ces assertions me semblent procéder d’une conception intellectualiste de la politique qui perd de vue les données du contexte. S’il est vrai, d’un point de vue principiel et théorique, que la raison d’être de chaque courant est de présenter un projet alternatif à tous les courants rivaux et concurrents, il est non moins vrai que son rôle ne peut se limiter à cet impératif de propagande mais consiste au contraire à proposer de manière prioritaire des solutions pratiques aux problèmes que connaît un pays donné à un moment donné de son histoire. Aussi des projets de société différents peuvent-ils converger à un moment donné sur un programme politique commun. La politique, comme le sport ne se jouant qu’à deux, les blocs se constituent plus sur les programmes politiques que sur les choix idéologiques ou « projets de société ». Et pour parler concrètement de la situation de la Tunisie d’aujourd’hui, où l’autoritarisme de l’Etat bloque toute _expression libre, ne pas donner la priorité aux besoins de la libéralisation de la vie politique et de la transition démocratique et ne pas constituer les blocs selon ce critère prioritaire c’est tout bonnement compromettre toute concurrence véritable entre projets sociaux rivaux et réduire la lutte politique à des querelles de chapelles sans incidence appréciable sur la vie des gens.
Nous ne pouvons par ailleurs occulter plus longtemps l’évolution qu’a connue l’islam politique au cours des quinze dernières années, ni la place qu’il occupe dans l’évolution des sociétés islamiques vers la démocratie. L’Union Européenne a procédé, de son côté, à une réévaluation de ce phénomène sur la base d’études circonstanciées. Ces études font état d’une différenciation au sein de la mouvance islamiste entre Jihadisme, Soufisme et Islam politique. Ce dernier se distinguerait du Jihadisme par l’abandon de la violence comme moyen de lutte politique et par l’adoption du cadre national (marocain, égyptien, tunisien, etc..) comme cadre de son évolution. Il se distinguerait du Soufisme (qui se réfugie quant à lui dans la sphère de l’édification de l’individu) par son investissement du champ politique. Ignorer ces appréciations et bien d’autres plus anciennes, notamment les études des islamologues américains, à un moment où les islamistes commencent à accéder au pouvoir au moyen des urnes, comme cela est le cas aujourd’hui en Turquie, en Palestine et très probablement demain au Maroc, et persister à considérer que ceux qui tiennent compte de cette évolution confirmée par l’expérience de leur propre pays comme de simples spéculateurs qui « parient sur les desseins que préparent les puissances étrangères pour notre région » c’est tout bonnement se cacher la réalité et condamner le projet de gauche et sa culture à n’être qu’ une simple nostalgie. Il est évident à ce propos que l’évolution du seul discours islamiste ne constitue point une garantie suffisante pour l’avènement de la démocratie et sa stabilisation. C’est le rapport de force qui oblige tout un chacun à respecter ses engagements. Il est instructif de noter à ce propos que la réussite de l’expérience turque tient aussi bien à l’évolution de l’islamisme turc qu’au contexte interne et international dans lequel se trouve la Turquie. Il est de même important de remarquer que Hamas n’a remporté la victoire électorale qu’à 59 000 voix de différence et qu’elle a à gérer la moitié de l’électorat palestinien encadré par le Fath et les organisations de gauche dans un contexte international de moins en moins favorable aux tentations totalitaires. Et au Maroc demain, le PJD n’aura pas à exercer le monopole exclusif du pouvoir mais sera obligé de le partager avec le Trône et de gérer une opinion encore encadrée par des partis de gauche ou simplement séculiers.
La préparation de la société démocratique de demain passe donc par un dialogue qui n’exclut personne en vue de sceller précisément un pacte démocratique qui délimite avec clarté les fondements intangibles de la démocratie (égalité des sexes, liberté de conscience, bannissement des châtiments corporels, rapport de l’Islam avec l’Etat, etc.) et que tout un chacun s’oblige à respecter quelle que soit la majorité dont il pourrait jouir à un moment ou un autre de notre vie nationale. Une fois ce pacte scellé, la garantie du bon fonctionnement du système dépendra bien évidemment du rapport force entre protagonistes. Mais il faudra au préalable l’avoir débarrassé de tout ce qui bloque son fonctionnement normal et cela demeure tributaire de l’unité des forces qui ont intérêt à l’avènement la démocratie.
C’est pourquoi j’ai toujours pensé – et défendu – que l’unité d’action doit évoluer vers un pacte alternatif et que d’impératif tactique, elle devrait se muer en alliance pour la démocratie. Cette conviction me semble dictée par les besoins de l’évolution de notre pays. Je ne vois pas la gauche prendre une part significative à cette évolution sans qu’elle n’assume son rôle dans la préparation de ses conditions. Et si tel est l’enjeu des manœuvres qui se trament aujourd’hui sous nos yeux comment imaginer que la gauche puisse acquérir son unité et la conserver sans s’entendre d’une manière ou d’une autre sur les choix qui s’offrent à elle ? C’est pourquoi il me paraît futile d’essayer de faire l’économie de ce débat en recourant aux anathèmes du genre « faire la politique sans les idées » ou « spéculer sur les desseins que nous préparent les étrangers » ou encore « caresser la bête dans le sens du poil dans un dessein électoraliste » !!…
Les idées exposées dans ces quelques lignes, qui n’engagent que leur auteur, n’ont point pour objet d’attiser une polémique préjudiciable à l’unité de la gauche. Leur seule ambition est d’inviter des camarades inquiétés par l’évolution prise depuis le tournant de la grève du 18 Octobre à examiner de plus près le rôle politique de la gauche à ce moment précis – et peut être crucial – de l’évolution de notre pays. Les auteurs du texte « à propos d’une dérive » ont eu le mérite d’ouvrir le débat, j’espère y avoir apporté ma modeste contribution.
Nejib Chebbi
Le 10 mars 2006
Document 6 : Lotfi Zitoun à propos du 18 oct en 2012
«Nous avons renoncé à l’esprit du 18 octobre»
La Presse Mardi 11 Septembre 2012 – Extrait de l’interview de Lotfi Zitoun
La rencontre avec Lotfi Zitoun s’imposait. Mais le grand pourfendeur des médias allait-il accepter de recevoir La Presse, un journal qui suit une ligne indépendante et critique?
Le rendez-vous est pris en 24 heures. L’entretien dure plus de trois heures. Le conseiller politique avec rang de ministre est parfois humain et convaincant. D’autres fois, l’homme politique reprend le dessus et les réponses sont convenues ou politiquement correctes. Le lecteur jugera.
Il est certainement sincère lorsqu’il parle, avec une émotion perceptible, du sentiment de persécution qui habite les militants d’Ennahdha et du harcèlement inhumain dont des centaines ou des milliers de familles ont été victimes sous l’ancien régime, à l’instar de toute l’opposition d’ailleurs.
Intéressants également, ses propos au sujet de la peur qui habite une partie des militants de ce parti, peur d’un retour du passé, impression d’être mis à l’index du fait même qu’ils revendiquent une identité islamique forte.
Enfin, et c’est un aveu considérable, il reconnaît l’échec du gouvernement et de la coalition avec la contribution de l’opposition dans la gestion des affaires du pays: «l’élite choisie par le peuple a échoué et n’a pas été à la hauteur de la confiance placée en elle ». Un mea culpa qui va susciter des réactions. Entretien.
Lorsque vous faites votre bilan au pouvoir, quels sont les points négatifs et les points positifs ?
La révolution n’avait pas eu de leaders pour des raisons longues à expliquer. Par la suite, le peuple a délégué à l’élite politique la réalisation des objectifs de la révolution, en distribuant, à mon avis, les voix de manière très rationnelle. Le peuple a choisi de façon à ce que la constitution et la gestion du pays soient distribuées sur l’ensemble des tendances politiques.Maintenant, il faut dire les choses comme elles sont, oui cette élite a échoué et n’a pas été à la hauteur de la confiance placée en elle. Je pense aussi que le peuple tunisien aurait été satisfait si nous avions réussi à former un gouvernement d’union nationale, plutôt que la division actuelle. Et de voir cette période de transition exclusivement consacrée à la rédaction de la Constitution et à la promulgation de certaines lois indispensables. Or, nous nous sommes trouvés dans une situation conflictuelle d’un pouvoir qui se défend et d’une opposition qui demande des comptes.
Serait-ce une critique directe à ceux que vous avez invités à partager le pouvoir avec vous et qui ont refusé ?
Oui, et à nous-mêmes aussi. Nous avions préalablement décidé dans le mouvement de ne pas monopoliser le pouvoir, même si on recueillait 60 % des voix. Notre position était de former un gouvernement d’union nationale. Le fait est là, nous avons été victimes de la séduction «ighra» du pouvoir. Et, lorsque deux formations politiques ont accepté de former la présente coalition, nous n’avons pas été chercher plus loin. Nous n’avons pas été suffisamment convaincants ni n’avons déployé les efforts qu’il fallait pour convaincre les récalcitrants. Nous avons renoncé rapidement à l’esprit du 18 octobre. Ce pacte qui a uni les islamistes et les démocrates et qui constitue le meilleur et la plus importante production de l’élite politique.
L’accord du 18 octobre, c’est un consensus sur les questions les plus litigieuses, le code du statut personnel, la question de la femme, la place de la religion, la démocratie. Mais nous avons tous renoncé à cet acquis. Nous ne sommes pas les seuls fautifs; certains comme Néjib Chebbi qui était l’un des porte-flambeaux du 18 octobre, ont préféré faire cavalier seul.
Mais les mauvais indicateurs économiques, les mouvements sociaux, l’instabilité sécuritaire, ne trouvent pas tous leur origine dans cet éparpillement politique…
Si, ils les ont nourris. Depuis la révolution, nous n’avons pas fait de saut qualitatif. Et quand je dis « nous », je parle de toute la classe politique ; le gouvernement, et l’opposition, n’avons pas été à la hauteur de la confiance du peuple. C’est ce qui a poussé le peuple dans les régions et les jeunes qui ont payé le prix fort, au désespoir.
Nous avons tous continué à creuser cette division politique. Et nous n’avons pas pu nous placer au-dessus des divergences, dépasser nos obstacles psychologiques pour pouvoir se mettre au tour d’une table et discuter. Or la démocratie exclut les humeurs, il faut savoir traiter avec tout le monde, toutes les tendances. Le blocage s’est creusé, l’opposition a fait de l’échec du pouvoir un argument de combat. Les gouvernants au pouvoir y ont vu de la mauvaise foi, le gouffre s’est creusé. De plus, la faiblesse de l’opposition a porté atteinte au processus démocratique. Mais je dois dire également que ce qu’a fait Ben Ali est passible de saborder toute opposition, si ce n’était la solidité de l’élite politique. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une atmosphère politique post-révolutionnaire. De son côté, le peuple a épuisé toute sa capacité d’endurance, il faut le dire.
L’opposition qui est éparpillée comme vous le dites, n’est quand même pas responsable de l’état du pays, alors que vous détenez les rênes et tous les leviers ?
Nous sommes dans une atmosphère post-révolutionnaire et de grande agitation. Le peuple a des revendications urgentes, politiques, économiques et sociales. Dans ces conditions, chaque entité, si petite soit-elle, peut être en mesure de perturber le pays, parce qu’elle surfe sur une vague déjà haute. Il ne suffit pas d’avoir la majorité pour faire marcher le pays. C’est pourquoi nous avons besoin de concorde pour pouvoir gérer la situation qui est déjà très perturbée. Pour que la transition démocratique se poursuive et pour ne pas tomber dans le chaos ou sous la férule d’un seul parti. Le danger existe avec l’une des deux options, il faut qu’il y ait de grandes coalitions et nous allons vers cela.
Est-ce qu’il y a des rencontres entre vous et les partis d’opposition, en ces temps difficiles ?
Il a discussions marginales, non approfondies, il y a une prise de conscience collective après le message envoyé par les partis El Joumhouri et El Massar. Il y a une réaction positive d’Ennahdha. Nous allons encourager tous les partenaires à s’asseoir et dialoguer. Il y a une feuille de route prête pour la création d’un conseil de dialogue national. Il faut que le dialogue soit ouvert. D’un autre côté, comment ouvrir un dialogue avec 140 partis, c’est un problème. C’est pour cela que les grands partis ont tendance à se limiter à eux-mêmes.
Oui, la situation est difficile et je commence à avoir peur de nous voir perdre l’acquis d’avoir été les premiers à faire la révolution. Nous sommes en position de leader du printemps arabe, c’est un acquis important sur tous les plans ; politique, culturel mais aussi économique. Je vois que l’Egypte est en train de menacer cette position. Dans notre histoire, ça a toujours été ainsi, des Fatimides à Ibn Khaldoun. J’ai bien peur que si nous n’arrivons pas à faire une constitution où il y a des élans créatifs (Ibdâa) et un esprit de concorde, si cette phase n’est pas dépassée avec succès, nous risquons d’être en marge du printemps arabe. Mais la révolution est irréversible. C’est un fait. (…)