Page 39 - Deuxième session de Premiers gestes Jeune cinéma de Méditerranée
P. 39
Nous sommes proches de la confusion tant les changements sont
rapides, tant les anciennes limites sont malmenées, tant et si bien que,
comme effrayés par la perspective de tout voir s’effondrer, les institutions
(administratives, économiques, culturelles) ont tendance à se réfugier
dans un conservatisme rigide reprenant à l’infini les mêmes normes de
production, de distribution, d’exploitation) et appellent du même coup
aux mêmes schèmes de création, tournant le dos, quand elles ne les
rejettent pas cyniquement, aux nouvelles formes de création esthétique.
Cet effacement rapide des frontières horizontales s’accompagne
d’une sérieuse remise en question des hiérarchies verticales, établies
symboliquementà l’échelle planétaire. De nombreux signes de renouveau
autrement audacieux viennent aussi des régions du « sud », de
contextes économiques et institutionnels pauvres. L’œuvre d’un cinéaste
comme TariqTeguia(pour prendre un exemple proche de nous) est à
cet égard plus que significative : arpenter l’espace n’est pas chez
lui qu’une métaphore obsessionnelle (ce qu’elle est aussi), c’est plus
largement une forme d’expression emblématique de l’exploration de
nouveaux territoires dans tous les sens, magistralement initiée par lui et
librement et diversement suivie par bien d’autres jeunes cinéastes de
Méditerranée. Son dernier film, « Révolution Zendj » en est une forme à
l’élaboration à la fois aiguë et exacerbée, où le désir d’aller au-delà
des frontières traverse le film de bout en bout, depuis ses conditions
matérielles de fabrication jusqu’ à celles de sa circulation en passant
par le tissagerésolument exploratoire des genres dans l’œuvre même où
s’enchevêtrent, pour le bonheur des yeux et des oreilles, photographie,
art plastique, art vidéo, discours politique, nouvelle formes de narration.
Les exemples sont nombreux de jeunes cinéastes qui à leur tour, ont
mis à l’épreuve les limites artistiques et institutionnelles de la création-
production cinématographique. On peut citer à titre d’exemple (il y
en a bien d’autres), Tarek Sami, Lamine-Ammar Khodja, Hassen Ferhani,
ZiadKalthoum ou plus récemment encore AlaeddineSlim dont « The Last
of us » nous offre un exemple inédit de traversée (des frontières, des
récits et des genres), étonnant, définitivement inoui, dans une mise en
scènemagnifiquement et continuellement agrippée à sa propre logique.
On aurait tendance, réflexe imposé par la peur de perdre les repères
des espaces confortablement habités par le cinéma culturel, à mettre
tous ces films dans la rubrique du cinéma « expérimental ». Notre désir,
en organisant cette table ronde, est de poursuivre la réflexion à la
lumière de ces propositions nouvelles pour que le discours sur le cinéma
puisse à son tour sortir un peu des territoires et des catégories dans
lesquels il est confiné.
Tahar Chikhaoui